Charbon : le bout du tunnel n’est pas pour demain

© Nick Humphries 

Massivement utilisé à partir du 19ème siècle au cours duquel il a été carburant de la première révolution industrielle, le charbon est encore la deuxième source d’énergie fossile aujourd’hui et son utilisation est responsable de 42 % des émissions de CO2, devant le pétrole (29%) et le gaz (21%) . Alors que les pays développés diminuent le recours à cette ressource, la plupart des pays en voie de développement ne cessent d’augmenter leur consommation parallèlement à leur expansion économique.

Les travaux du GIEC sur le dérèglement climatique ont pointé l’impérieuse nécessité de réduire l’utilisation des énergies fossiles en général et du charbon en particulier. Pourtant, après quelques années de recul la consommation de charbon est à la hausse suite à la reprise économique post Covid suivie de la déstabilisation du marché de l’énergie causées par le conflit Russo-Ukrainien. Dans son dernier rapport « World Energy Outlook 2022 » l’Agence internationale de l’Énergie estime que la baisse devrait reprendre à un rythme variable selon les régions du monde sachant que la Chine et en Inde, qui représentent 66 % de la consommation planétaire de charbon et ont fixé les objectifs de neutralité carbone à 2060 et 2070 respectivement.

Le charbon en chiffres

Deux siècles de développement à toute vapeur

La production d’énergie à partir du charbon pour l’industrie a commencé de se généraliser en Europe au cours du 18ème siècle pour atteindre 7 Mtep* en 1800, très loin derrière la biomasse (principalement le bois) qui fournissait 298 Mtep. La révolution industrielle a démultiplié les usages du charbon dont la consommation totale s’élève à 480 Mtep en 1900 soit près de la moitié de l’énergie primaire mondiale. Malgré la concurrence du pétrole, le recours au charbon continue de croître au 20ème siècle et s’élève à 2120 Mtep en 2000 pour représenter 23 %  ressource d’énergétique planétaire. Au début du 21ème siècle la part du charbon remonte (27 % du mix énergétique mondial en 2021) suite à la croissance économique de la Chine dont la consommation a explosé (+ 180%) entre 2000 et 2019 et compte pour plus 53 % des 3900 Mtep de charbon brûlé sur le globe en 2021.

*1 tonne de charbon de haut rang = 0,62 Tep

L’humanité n’a jamais extrait et consommé autant de charbon qu’aujourd’hui malgré les effets adverses de son exploitation tant pour l’homme que pour l’environnement.

Impacts sanitaires et environnementaux

Outre sa contribution massive à la production et l’accumulation de CO2 atmosphérique responsables du dérèglement climatique les mines de charbon génèrent 9 % des émissions de méthane et l’extraction ainsi que l’utilisation du charbon sont responsables de nombreuses pollutions .

L’extraction du charbon brasse de grandes quantités de poussières dont l’inhalation par les mineurs provoque la silicose. Les mines, notamment les sites à ciel ouvert, impactent les habitats de la faune et de la flore. Selon la localisation et la configuration du gisement, son exploitation peut aussi déstabiliser les ressources en eau qu’elles soient en surface (lavage du minerai) ou qu’elles soient souterraines (dénoiement des mines).

L’utilisation du charbon est très polluante. Sa pyrolyse destinée à produire le coke (qui alimente les aciéries) dégage des particules et des gaz volatiles toxiques : hydrocarbures polycycliques, goudrons, dioxines… La combustion le charbon émet des oxydes d’azote et du dioxyde de soufre qui acidifie l’air (et cause des pluies acides), ainsi que des particules fines et des produits toxiques comme l’arsenic, le cadmium, ou le mercure.

Une étude menée en 2016 par quatre ONG (WWF, Climate Action Network, Heal et Sandbag) rapporte que les centrales de charbon de l’Union européenne ont causé de 23.000 morts prématurées en 2013. L’OMS estime à plus de 1,3 million de morts par an suite à des pathologies respiratoires causées par la pollution atmosphérique issue des combustibles solides dont le charbon.

Brûler du charbon, pourquoi faire ?

Comme on vient de le voir le charbon est le symbole de l’énergie sale, cependant plus de 70 % de cette ressource sont consommés pour produire de l’électricité  et plus de 20 % alimentent les aciéries. On trouve les autres utilisations industrielles dans les cimenteries, la carbochimie. Plus marginalement le charbon également utilisé pour le chauffage via des réseaux de chaleurs ou par combustion.

Comme on le verra plus loin, les caractéristiques des deux gouffres de consommation du charbon que sont que sont la production d ‘électricité et la production primaire d’acier (à partir du minerai) conditionnent les modalités de réduction rapide du recours à cette ressource énergétique.

Géographie de la consommation et de la production du charbon

La répartition relativement équilibrée des réserves de charbon dans le monde (évaluées à 135 ans de production au rythme actuel) et le faible coût de ce combustible encouragent, malgré son impact environnemental, son utilisation dans diverses régions du monde où il peut être un puissant moteur du développement économique de pays comme la Chine et l’Inde. Ces deux pays représentent deux tiers de a consommation mondiale.

Plus globalement, 85 % du charbon extrait sont brûlés par la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Japon, l’Afrique du Sud, la Russie, la Corée du Sud, l’Indonésie, l’Allemagne, et le Vietnam dans l’ordre de consommation décroissant. Réciproquement, 90 % de l’extraction annuelle de charbon provient de 10 pays en 2021 : Chine, Inde, USA, Australie, Indonésie, Russie, Afrique du Sud, Allemagne, Pologne, Kazakhstan dont 5 sont exportateurs (USA, Australie, Indonésie, Russie, Afrique du Sud, Kazakhstan).

Que l’on se place du point de vue de l’ogre chinois ou du petit poucet kazakh, le charbon est un déterminant incontournable de leur stratégie économique et de leur positionnement géopolitique ce qui ne facilitera pas son abandon à court terme.

Quelles solutions de substitution ?

Plus de 90 % de la consommation de charbon sert à produire 40 % l’électricité d’une part et de 65 % de l’acier d’autre part. Cela définit le champ des possibles quant à son remplacement par d’autres sources d’énergie primaires décarbonées : nucléaire, éolienne, solaire pour l’électricité; hydrogène vert pour l’acier produit à partir de minerai. Et là les chiffres donnent le tournis !

Actuellement la production totale d’électricité à partir du charbon s’élève à près de 10.000 TWh. Pour arriver au même résultat :

-avec de l’électricité nucléaire, il faudrait quadrupler le parc des centrales existantes et quadrupler la consommation de combustible dont les ressources sont limitées (100 ans au rythme actuel) ;

-avec de l’électricité éolienne, il faudrait 7 fois plus d’éoliennes qu’il n’y en a aujourd’hui et elles occuperaient une superficie de plusieurs centaine de milliers de km² sur terre et en mer ;

-avec le l’énergie solaire photovoltaïque, il faudrait une capacité de production 15 fois plus importante que celle dont nous disposons actuellement ce qui mobiliserait près de 100.000 km² de panneaux.

On voit ici que le remplacement des centrales au charbon ne peut se faire que par avec une combinaison de ces technologies associée à une indispensable amélioration de l’efficacité des processus de production et des usages de l’électricité.

Quant au délai de sortie il se chiffre en décennies pour d’évidents raisons opérationnelles liées la synchronisation de la fermeture des installations actuelles (et leur impact économique et social) avec l’édification d’infrastructures nouvelles décarbonées et leur financement estimé à plusieurs milliers de milliards de dollars par an selon l’agence internationale de l’énergie.

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14 thoughts on “Charbon : le bout du tunnel n’est pas pour demain”

  1. Merci Xavier Drouet pour ce panorama très intéressant sur l’économie liée à l’utilisation du charbon et à son impact environnemental élevé.

    Comme vous le rappelez ici, on peut s’interroger pourquoi nos économies continuent d’utiliser le charbon.

    Réponse pas facile quand on sait que ce n’est pas une solution alternative qui fera la différence, mais bien un mix de solutions comme vous le soulignez.

    La fermeture des centrales à charbon et leur substitution par un mix énergies renouvelables et nucléaire permettrait probablement de réduire les émissions de CO2 considérablement (j’ai lu 750 millions de t de CO2 es à 2050 dans une étude du Shift Project). I’m faudrait évaluer les coûts économiques et écologiques liés à cette transition je pense.
    Vision et Volonté politique forte au-delà des méandres de l’inaction.

  2. Il serait utile de compléter le panorama par un examen des technologies disponibles et futures qui permettent de réduire sensiblement les nuisances de l’utilisation du charbon, pour les émissions polluantes et pour les émissions de CO2.
    Par exemple, la pyrolyse doit pouvoir être faite de façon propre et produit des quantités importantes d’Hydrogène et de méthane.
    On peut aussi envisager la séquestration du CO2.

    1. La pyrolyse du charbon est déjà utilisée pour produire le coke destiné aux aciéries. Le méthane et/ou l’hydrogène qu’elle dégage sont des sous-produits.
      La séquestration du C02 par capture sur les sites polluants consiste à le réinjecter dans le sous sol terrestre plutôt que dans l’atmosphère. A ce jour cette méthode est très peu employée à cause
      des incertitudes quant au devenir du CO2 ainsi piégé.

  3. Merci Xavier pour cet éclairage une fois de plus très bien documenté. L’article souligne que les solutions de remplacement sont lointaines et incertaines, et surtout je comprends en creux que les décideurs en ont pris leur parti… Je me trompe ?

  4. Merci Xavier, parmi les solutions de substitution, il faudrait penser au thorium et plus particulièrement à des “boulets blancs”
    Des Boulets blancs de céramique fibrée à cœur de thorium dopé pourraient-il remplacer les antiques boulets de charbon pour diffuser de la chaleur ?
    La céramique remplacerait le sel fondu et jouer à la fois le rôle de caloporteur et barrière de confinement.
    Les Boulets blancs sont-ils l’avenir des centrales thermiques à charbon ?
    https://www.beaubiophilo.com/2019/09/thorium-les-boulets-blancs.html

  5. Merci Xaxier pour cette excellente synthèse qui ne doit pas nous faire oublier qu’aucune des solutions de substitution identifiées à ce jour n’est complètement vertueuse.

  6. Merci, Monsieur Drouet, de ces considérations et précisions qui donnent évidemment à réfléchir. Espérons que nos dirigeants – en fait tous les dirigeants de notre seule planète – sauront être raisonnables et trouver des voies qui répondent aux attentes actuelles des 8 milliards d’humains qui peuplent la Terre, cela sans pour autant hypothéquer l’avenir.

  7. Merci, très clair.
    En fermant le cycle des réacteurs nucléaires, on a un espoir sérieux pour la partie génération d’électricité.
    Pour l’acier, comment élargir les 35% produits sans charbon?

    1. Pour abaisser les émissions de CO2 lors de la production certains sidérurgistes ont déjà remplacé le charbon par le gaz naturel. A terme l’objectif de la neutralité carbone de la transformation du minerai pourrait être atteint en utilisant à de l’hydrogène vert (produit par électrolyse). Ce procédé jusque là expérimental est en cours d’industrialisation en Suède.

  8. Toujours très éclairant et stimulant, merci Xavier. L’environnement géopolitique est une donnée essentielle dans la problématique du climat, le conflit engagé par la Russie le montre bien. Deux petites questions sur le nucléaire : Est-ce que le nucléaire, dans cet environnement, nous assurerait plus d’indépendance? Est-ce que le nucléaire te semble une énergie valable à moyen terme sur un plan strictement d’émissions carbone?

    1. La France importe la totalité de l’Uranium utilisé pour produire son électricité « nucléaire ». son approvisionnement provient de différentes zones géographiques : Niger, Canada, Australie et Kazakhstan.
      En données ACV (analyse du cycle de vie), le kWh nucléaire émet 6g de CO2 soit 175 fois moins que le kWh charbon
      A moyen terme les ressources connues à ce jour permettent de couvrir 100 années de leur consommation dans les conditions technologiques et le mix énergétique actuels.

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