Les progrès spectaculaires de la génétique moléculaire depuis la découverte de l’ADN en 1953 permettent aujourd’hui de caractériser, avec plus ou moins de précision, la prédisposition de l’homme à certaines maladies génétiques. Alors que les tests génétiques sont très strictement encadrés en France, on assiste au développement exponentiel d’analyses génétiques réalisées par des sociétés privées dont les pratiques interpellent autant sur la pertinence et l’utilité des test vendus que sur l’utilisation des données qu’elles collectent.
De tout temps l’Homme a cherché à remédier à ses maux
Les populations préhistoriques combattaient déjà les affections ou soignaient les traumatismes, avec ou sans l’aide d’un « guérisseur », en traitant les effets sans établir de diagnostic. Hippocrate sera le premier à pratiquer véritablement la médecine avec une méthode qui recherche des causes par l’observation du malade et la prise en compte de son environnement. Il faudra attendre la Renaissance pour qu’émergent les bases de la médecine moderne avec les traités de chirurgie d’Ambroise Paré et les premières publications de pharmacologie (Saladin d’Asculo, Giorgio Valla…).
A mesure que progressent les sciences, la médecine, d’abord axée sur la guérison du malade, évolue : elle permet aussi d’éviter l’apparition de la maladie grâce à des soins ou des prescriptions préventives (vaccination, hygiène…) et tend vers une médecine personnalisée dont le référent est l’individu sain (en réalité ou en apparence) chez qui on cherche aussi à mesurer ses risques, qu’il s’agisse de prédispositions génétiques (dans certains cancers par exemple), de l’apparition précoce et asymptomatique d’anomalies détectables par imagerie et/ou de la présence d’un marqueur biologique (maladies neurodégénératives, cancer…) ou du mode de vie (dans les maladies cardio-vasculaires notamment).
Le concept de médecine prédictive englobe des approches différentes qui ne se limitent pas au décryptage des gènes. Toutefois la médiatisation d’applications médicales des avancées scientifiques et techniques génétiques suscitent l’espoir de l’identification du risque d’apparition de la maladie et donc l’attente de son traitement. En réalité ce n’est pas aussi simple, car les capacités de la médecine prédictive basée sur l’analyse des gènes sont limitées par leur caractère « probabiliste » et posent de nombreuses questions sur leur impact qu’il s’agisse de choix thérapeutiques ou d’incidence sociale, d’une part, d’éthique et de confidentialité des données, d’autre part.
Les gènes et notre santé
Plus de 10 000 maladies génétiques sont commues à ce jour et le chiffre ne cesse de croître. Ces pathologies, rares le plus souvent, sont extrêmement variables et hétérogènes dans leur expression d’un malade à l’autre. Leur prédiction est limitée par l’interaction complexe des gènes, des facteurs environnementaux et de l’histoire de l’individu.
En quelques décennies, le développement de la biologie moléculaire et du génie génétique ont ouvert de larges champs de connaissance, avec le séquençage du génome humain notamment, et elles ont généré des techniques d’analyses biologiques nouvelles, de plus en plus précises et de plus en plus spécifiques.
Si l’analyse du génome occupe aujourd’hui un quasi monopole parmi les méthodes de prédictions des maladies génétiques, cela ne doit occulter que la prédisposition à une pathologie peut être aussi diagnostiquée par d’autres méthodes qu’il s’agisse
- d’un dosage biologique comme cela se fait pour la phénylcétonurie qui provoque des retards mentaux si elle n’est pas dépistée à la naissance;
- d’un diagnostic prénatal (échographie et observation des chromosomes) pour la trisomie 21;
- d’une identification du groupe sanguin des globules blancs dans le système HLA pour diagnostiquer, par exemple, une prédisposition à la spondylarthrite ankylosante (rhumatisme invalidant chez l’adulte).
Tests génétiques de quoi parle-t-on ?
Les quelques situations où la présence du gène cause l’apparition précoce et inévitable de la maladie sont évidement les plus simples à gérer. Outre la phénylcétonurie mentionnée plus haut, la mucoviscidose, la drépanocytose (anémie héréditaire) et l’hyperplasie congénitale des surrénales (maladie hormonale) sont systématiquement dépistées à la naissance afin d’intervenir pour prévenir l’apparition de complications sévères et d’en réduite la gravité et les conséquences.
Dans d’autres maladies où le gène anormal est la condition nécessaire et suffisante de leur survenue, sa détection n’apporte pas de précision sur les circonstances dans lesquelles elle se manifesteront. C’est le cas de la chorée de Huntington, pathologie héréditaire grave, qui provoque une dégénérescence neurologique incurable. La maladie apparaît après 40 ans et sa progression suit un rythme et une forme différentes d’un individu à l’autre. Dans les familles à risque, après plusieurs consultations auprès d’une équipe spécialisée, le test génétique est proposé. Ce dépistage n’est pas toujours accepté et des personnes concernées préfèrent ne pas savoir.
Le test génétique médical peut aussi être pratiqué chez les couples à risques dont l’un des deux partenaires souffre d’une maladie génétique transmissible au fil des générations (mucoviscidose, hémophilie, dystrophie musculaire de Duchenne…) ou d’un problème potentiellement héréditaire (retard de croissance), ainsi que chez les parents d’un premier enfant atteint par ce type d’affection. Cette analyse doit faire suite à un examen approfondi des antécédents des deux parents et de leurs familles.
Le test génétique peut également être fait pendant la grossesse quand une anomalie est détectée lors d’une échographie, d’un prélèvement sanguin maternel ou d’une amniocentèse. Il pourra déboucher sur une demande d’interruption volontaire de la grossesse si c’est une maladie grave et incurable qui est diagnostiquée. Cas particulier : le diagnostic pré-implantatoire qui est pratiqué dans des cadres restreints Il permet de rechercher une anomalie génétique sur un embryon issu d’une fécondation in vitro (FIV) afin de vérifier qu’il est indemne avant de l’implanter dans l’utérus maternel».
Pour éviter les dérives eugénistes les diagnostics prénatal ou préimplantatoire sont toujours proposés dans la cadre d’une consultation génétique menée par un médecin spécialisé. il ne sont réalisés qu’avec un consentement éclairé explicite et doivent avoir une finalité médicale pour donner aux couples la possibilité de choisir d’éviter d’avoir un enfant atteint d’une maladie incurable, provoquant le décès précoce de ceux qui en sont atteints et ce, dans une grande souffrance parfois.
Les maladies génétiques multifactorielles dépendent à la fois de plusieurs gènes simultanément et de facteurs de l’environnement. Cela concerne des diabètes de type 1 et 2, des maladies cardiovasculaires, certains cancers fréquents, des maladies neurologiques et psychiatriques, des malformations congénitales, l’asthme et les maladies auto-immunes… Leur probabilité d’apparition est très variable selon la maladie et selon l’individu, il en est de même du caractère prédictif de la détection d’un gène anormal associé.
Ainsi, une femme chez qui on détecte une mutation sur le gène BRCA1 ou le gène BRCA2, le risque de développer un cancer, avant 70 ans, est 40 à 85% pour le cancer du sein (10% dans la population générale) et 10 à 63% pour le cancer des ovaires (1% dans la population générale).
Lorsque plusieurs membres de la famille sont atteints du même cancer les tests génétiques qui peuvent être proposés n’apportent qu’une indication concernant le risque de développer la maladie au cours de la vie. On voit dans cet exemple particulier qu’il peut y avoir un bénéfice à pratiquer un test génétique, par la levée du doute et par la prévention de l’affection, bien que les mesures à prendre puissent être radicales (ablation des seins et des ovaires) et très difficiles à vivre sur le plan psychologique.
En l’état des connaissances actuelles les effets de la composante génétique des maladies multifactorielles est encore mal comprise. Les tests génétiques de ces pathologies ne sont que des indicateurs imprécis du développement potentiel d’une maladie d’autant que la probabilité de survenue qu’ils révèlent peut être faible et que la capacité d’agir sur l’effet cette composante génétique est réduite.
Si l’influence du génome sur la variabilité de la réponse à un traitement médicamenteux (pharmacogénétique) n’est pas une maladie, il faut toutefois préciser que la médecine prédictive et le test génétique trouvent là une application concrète dans le cas de la possible diminution ou absence d’efficacité d’un traitement, de ses effets indésirables voire toxiques etc. C’est déjà connu pour des traitement anti-leucémiques et anti HIV, par exemple, ce qui permet de choisir les thérapies médicamenteuses pertinentes, d’améliorer le confort des patients et de réduire le coût de leur prise en charge.
A travers ces illustrations, on mesure combien le bénéfice de dépister un gène anormal est variable selon les cas. De plus, la connaissance de la probabilité de développer ou transmettre une maladie génétique peut avoir des conséquences humaines non négligeables (stigmatisation, perte de confiance en soi, arrêt des projets de vie et de reproduction…) et d’autant moins « acceptables » que la probabilité génétique est faible.
Test génétiques en France : une réglementation stricte et des usages qui le sont moins
Parce que la génétique médicale a des conséquences éthiques, sociales et psychologiques , elle est réglementée en France par les lois de bioéthique et leurs décrets d’application.
L’examen génétique ne peut être réalisé qu’à des fins médicales, judiciaires ou de recherche scientifique, il doit obligatoirement être pratiqué par un laboratoire agréé. Il se fait toujours avec le consentement de la personne concernée (ou de ses représentants s’il s’agit d’un mineur) qui peut refuser de connaître le résultat de son test.
Lorsqu’elle connaît le résultat de cette analyse la personne testée est tenue d’informer les membres de sa famille en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins. (La loi précise en outre que si la personne ne souhaite pas informer elle-même les membres de sa famille, elle peut demander au médecin qui a réalisé l’examen qu’il procède à cette information tout en préservant l’anonymat du patient).
Le simple fait de solliciter un test génétique en dehors de ce cadre est proscrit et passible d’une amende de 3.750 euros. Toute personne ou organisation effectuant ces examens encourent une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 15.000 euros d’amende
Les tests génétiques en accès libre
Ils sont vendus par des sociétés privées depuis 2007. La plupart d’entre elles sont localisées en Amérique du Nord, les autres se sont progressivement implantées en Europe (Autriche, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Suisse, Russie) ou au Moyen-Orient (Israël, Liban, Émirats arabes unis) et l’on commence à en trouver également en Asie (Chine, Inde) et en Amérique du Sud (Brésil).
Les kits d’analyses commerciaux, disponibles sur internet, connaissent un succès impressionnant : fin 2018 il s’en était vendu 26 millions dans le monde depuis leur lancement. D’ici 2021, ce sont 100 millions de personnes qui en auront acheté (estimations de la MIT Technology Review). En France, bien que le recours à ces tests soit strictement interdit, plus de 100 000 Français ont passé commande en 2019, encouragé par une publicité omniprésente sur les réseaux sociaux comme FaceBook notamment.
Le test de base permet de déterminer son(ses) origine(s géographique(s) pour un coût de 99 dollars (87 €). Pour 100 dollars de plus, le test « informe » sur les prédispositions génétiques à certaines maladies (diabète, cancer du sein, maladie de cœliaque, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson…). Il apport aussi des informations dites de bien-être (caractéristiques corporelles, alimentation, sommeil…)
Après l’achat du test en ligne le client reçois un kit de prélèvement d’ADN buccal (par écouvillonnage ou par crachat). Il renvoie l’échantillon prélevé à la société qui lui communique ensuite les résultat via un compte personnel sur sa plateforme internet. Selon le test commandé l’utilisateur du test reçoit plusieurs types d’information :
- les régions du monde d’où viennent ses ancêtres avec un pourcentage de probabilité pour chaque région : Europe du nord, d’Amérique, d’Asie…
- les personnes (déjà testées et donc enregistrées dans la base de données) avec qui il partage une partie de son ADN, sous réserve d’avoir accepté la publication de son propre profil sur les bases de données de la sociétés qui a effectué le test ;
- les mutations génétiques qui prédisposent à des maladies (si l’utilisateur a choisi de réaliser un test ADN sur ses origines et sa santé).
- des informations sur des liens entre ses gènes et ses caractéristiques physiques ou psychiques (bien-être)
La fiabilité, l’utilité et l’impact des informations fournies par les tests commerciaux varient selon leur nature.
Les données sur les origines ancestrales sont assez fiables car ces sociétés utilisent des bases de données reconnues, en particulier sur celles du Human Genome Diversity Project (HGDP) où ont été collectées des données génétiques des populations du monde entier à partir desquelles identifier les marqueurs génétiques communs à 52 groupes de population.
Au fur et à mesure que les tests génétiques sont pratiqués sur un nombre croissant de clients, la capacité de déterminer l’arbre généalogique de chacun s’améliore. On peut y voir l’avantage d’identifier des cousins ou parents éloignés et l’inconvénient de lever des informations confidentielles comme l’identité d’un donneur de sperme ou des de parents biologiques d’enfants adoptés.
La fiabilité et la pertinence des résultats portant sur d’éventuelles prédispositions génétiques à une ou plusieurs pathologies sont beaucoup plus discutables.
Pour une même maladie donnée (cancer du sein par exemple), les laboratoires de ces sociétés commerciales ne recherchent qu’un nombre limité de mutations qui prédisposent à sa survenue. Or, il peut y en avoir d’autres. Ainsi un test qui montre que les gènes testés sont normaux ignore l’existence d’une possible autre mutation, non détectée car pas recherchée. Donc le test peut être rassurant à tort. Plus généralement les liens établis entre variants génétiques détectés par ces tests et la survenue de telle ou telle maladies sont des liens statistiques et il n’y pas forcément relation de cause à effet. Pour les pathologies cardiovasculaires, l’expression de nombreux gènes de prédisposition est modulée par des facteurs encore mal connus.
La pratique de tests génétiques peut donner l’illusion d’en savoir plus sur soi-même et de “prendre sa santé en main”. En réalité, on ne peut rien faire de concret et d’efficace pour sa santé avec les information qu’apporte les résultats de ces test dont la valeur scientifique est incertaine et les risques qu’ils font courir aux personnes, par des annonces anxiogènes ne sont pas négligeables. De plus leur généralisation expose à des dérives eugénistes et leur conséquences sociales et sociétales.
La donnée génétique est une « donnée personnelle »
Au même titre que les données biométriques, la donnée génétique est protégée par la loi en Europe conformément au Règlement Général de Protection des Données (RGPD) entré en vigueur en mai 2018. Faire un test génétique commercial revient aussi à remettre à une société privée la totalité de son génome pour les besoin de l’analyse. C’est une information très sensible car elle permet l’identification d’une personne physique, d’une part et c’est une donnée de santé d’autre part.
Le risque de marchandisation des informations génétiques est réel.
Lorsqu’ils achètent un test génétique à une société commerciale les clients signent un contrat qui peut stipuler qu’ils acceptent la cession de leurs données génétiques. La plupart d’entre eux acceptent cette clause car la société le justifie par des collaborations avec des équipes de recherche publiques.
Si plusieurs études académiques ont en effet été menées grâce à des données fournies par certaines de ces société, comme 23andMe, des lots de données ont été vendus à des laboratoires pharmaceutiques. Ainsi en août 2018, GlaxoSmithKline a déboursé 300 millions de dollars pour accéder aux données de 5 millions de clients de 23andMe.
La stratégie de valorisation va même jusqu’à la mise au point de médicaments. C’est le cas du traitement contre des maladies auto-immunes et inflammatoires (Lupus, maladie de Crohn) développé par 23andMe qui en en cédé les droits à la société pharmaceutique Espagnole Almirall SA en janvier 2020. En vue de produire le médicament, Almirall poursuivra les tests cliniques et le développement du médicament en s’aidant des données génétiques des clients de 23andMe. On voit clairement qu’ici le modèle économique ne repose pas sur la vente de tests (proposés à des prix inférieurs à leur coût de revient…) mais de valoriser, par lot, les données des personnes testées.
Outre ces transactions, les données peuvent aussi fuiter de manière malveillante En juin 2019, la société MyHeritage a annoncé que 92 de ses 96 millions de comptes utilisateurs avaient été piratés, la société aurait mis plus de six mois à constater de la fraude.
Rappelons aussi faire séquencer son ADN revient aussi à partager un peu du patrimoine génétique de membres de sa famille, et donc à en laisser une «trace» sans qu’ils en soient informés. Aux Etats-Unis, une affaire criminelle vieille de 40 ans a ainsi été élucidée en 2018 : le tueur a été identifié grâce à l’ADN d’un membre de sa famille qui a été trouvé dans une base de données publique. En janvier 2019, pour la première fois, une société privée Family Tree DNA a mis volontairement une partie de ses données à la disposition du FBI, pour l’aider à résoudre des affaires criminelles.
Pour ce marché de l’information génétique, le nerf de la guerre c’est la donnée !
Les géants du web ont bien compris l’intérêt d’investir dans ce domaine. Amazon Web Service et Google Genomics stockent toutes les données de l’«Atlas du génome du cancer» de l’Institut national du cancer américain, Facebook a récolté des milliers d’échantillons de salive dans le cadre de l’enquête «Gene for Good», Apple et Microsoft on développé des applications permettant de collecter et/ou de traiter des données génétiques. On peut alors imaginer le pire : une sélection ou un classement par les gène pratiqué par une banque, une assurance, un employeur, sur la base du profil génétique.
Au delà des incontournables questions d’éthiques que posent la pratique de tests génétiques, le besoin d’information des individus et les enjeux stratégiques du contrôle de l’usage des données génétiques ne peuvent être ignorés. Force est de constater que le cadre réglementaire français est contourné (et même détourné).
Renforcer ou lever l’interdiction des tests génétiques commerciaux n’est plus le fond de la question maintenant. Il est essentiel pour la France de garder le contrôle de la production et la valorisation des données génétiques en conservant un accompagnement humain, médical et scientifique, et des informations contenues dans l’ADN de chacun.