Derrière les forêts qui couvrent notre planète se cachent des milliers d’espèces d’arbres agencés, naturellement ou pas, en écosystèmes très divers faits de relations multiples et complexes avec leur environnement minéral, végétal, animal et humain au point de représenter une immense ressource dont l’incontestable utilité en font un défi majeur pour l’avenir de l’Homme.
La forêt, une histoire de cycles
Les premières formes de vie sur terre apparaissent il y a 3,5 milliards d’années avec les cyanobactéries qui sont dotées d’un pigment qui leur permet, par photosynthèse, de produire leur carbone à partir du CO2. Il faudra attendre 2,3 milliards d’années pour qu’apparaissent les premières algues et les végétaux commenceront à coloniser la terre ferme il y a 470 millions d’années. La géosphère, initialement composée de vapeur d’eau et de C02 est fondamentalement transformée par l’action de ces êtres vivant qui relarguent de l’oxygène dans l’atmosphère entraînant ainsi une modification du climat.
Les forêts les plus anciennes datent de 370 millions d’années. Leur enfouissement, dû à la montée du niveau des mers causé par des mouvement tectoniques il y 300 millions d’années, aboutit finalement à la production du charbon que nous utilisons depuis la révolution industrielle.
Bien que la préhistoire récente des forêts soit mal connue on peut retenir que le début de l’ère quaternaire, elle a résulté des effets d’épisodes climatiques successifs dans les zones circumpolaire, tempérée et tropicale dont les peuplements végétaux se sont adaptés grâce à la remarquable plasticité génétique des arbres.
L’Homme et la forêt
Les chasseurs-cueilleurs ont été les premiers hommes à agir sur les forêts il y a 500 000 ans pour aménager des territoires de chasse en brûlant d’importantes étendues boisées. Avec la sédentarisation des populations au Néolithique dans les zones tempérées commence le défrichage par brûlis pour étendre les surfaces destinées aux cultures ou à l’élevage.
A partir du XVème siècle le bois devient un matériau stratégique pour le développement d’une économie mondiale dépendant du commerce maritime des grandes puissances de cette époque. La préservation de cette ressource sera au centre de leurs politiques sylvicoles combinant plantation et amélioration de la gestion des forêts. En France la réforme forestière Colbert est a été essentielle et nous a légué la plus belle futaie d’Europe : la Forêt du Tronçais, créée 1670.
Dans les pays tempérés c’est à partir du XIXème siècle que la forêt est libérée d’une exploitation intensive grâce au remplacement du charbon de bois par la houille, parallèlement à l’émergence d’un mouvement en faveur de la protection des forêts associé à une politique de plantation (Landes et Sologne en France). Au niveau mondial, il faudra attendre la dernière décennie du XXème siècle pour que la protection des forêts soit une réalité.
Les forêts sur la planète aujourd’hui
Les forêts occupent 4 milliards d’ha soit 31% des terres émergées. Elles sont inégalement réparties sur la surface du globe. Plus de la moitié des forêts de la planète est située dans cinq pays (Fédération de Russie, Brésil, Canada, États-Unis et Chine) auquel s’ajoute un autre quart situés dans dix autres pays (Australie, RDC, Argentine, Indonésie, Inde, Mexique, Soudan, Mozambique, Colombie. L’évolution des surfaces variable selon les zones géographiques :
- La Chine a mis en œuvre depuis 1998 une politique forestière volontariste pour faire face à l’érosion des sols, aux inondations et à la désertification causée par la déforestation qui y a sévit, notamment de 1958 à 1987. La superficie des forêts est ainsi passée de 12 % du territoire en 1990 à 20% en 2010, totalisant plus de deux cent millions d’hectares composée à 2/3 de forêts naturelles, et 1/3 de forêts plantées (en grande partie avec des variétés clonées ou ou des peuplier génétiquement modifiés).
- Aux États-Unis la surface des forêts a un peu augmenté (3%) de 1990 à 2016 grâce au renouvellement des feuillus et un politique de plantation qui compense l’augmentation régulière de la demande de résineux.
- La surface forestière totale de la Russie est quasi stable (0,7%) au cours des trois dernière décennies malgré la disparition de 10 % Taïga depuis le début du XXIème siècle causée par les incendies et l’exploitation illégale.
- Au Brésil, les campagnes de sensibilisation et les opérations de protection de certaines zones de forêt vierge semblent porter leurs fruits. On est ainsi passé de 4 millions d’hectares de forêt défrichés chaque année (entre 2003 et 2004) à “seulement” 2 millions par an (entre 2010 et 2011). C’est autant qu’en Indonésie où la déforestation s’est considérablement accélérée au cours de la dernière décennie.
Au total, depuis 1990, on estime que près de 420 millions d’hectares de forêts ont disparu par conversion de ces espaces à d’autres utilisations, et ce malgré la baisse du taux de déforestation a baissé qui est passé de 16 millions d’hectares par an en 1990 à 10 millions d’hectares par an au cours de la dernière décennie. Si l’on tient compte du renouvellement naturel et des plantations la perte nette annuelle s’élève actuellement à 4,7 millions d’hectares et la perte nette cumulée de la superficie forestière mondiale entre 1990 et 2020 atteint 178 millions d’hectares soit plus de trois fois la surface totale de la France métropolitaine.
L’édition 2020 des évaluations mondiales des ressources forestières de la FAO révèle que depuis trente ans la conversion de forêts en terres agricoles représente plus de deux tiers des pertes de surfaces boisées notamment pour l’élevage de bétail ou la culture du tabac, du soja et du palmier à huile. Les autres pertes sont causées par exploitation minière, la construction d’infrastructures (barrages, canaux, routes) et les incendies.
Forêt et climat une affaire d’interactions
Depuis la nuit des temps la forêt subit les cycles climatiques en s’y adaptant en même temps qu’elle a contribué à ses variations. Autant par leur ampleur que par leur observation répétée, les effets sur la forêt du dérèglement climatique actuel sont préoccupants : la sécheresse favorise les incendies et elle fragilise les enracinement et provoque la chute des arbres. Sur le temps long l’augmentation des températures entraîne une recomposition des « populations d’arbres », qui peut conduire à la savanisation ou des disparition à dues des maladies ou des insectes.
Actuellement, plus de 100 millions d’hectares de forêts souffrent intensément de dégradation ou de destruction dues aux incendies, à l’action de ravageurs ou d’espèces envahissantes, à la sécheresse…
Réciproquement les forêts contribuent à atténuer le dérèglement climatique et ses effets : elles stockent le dioxyde de carbone et participent à la régulation du cycle de l’eau. Elles constituent aussi l’habitat d’innombrables espèces végétales animales dont elle assure la résilience. Enfin elles protègent les communautés contre les événements climatiques extrêmes.
La forêt puits de carbone ?
La capacité de absorption du CO2 par les forêts résulte d’une combinaison de mécanismes naturels et d’interventions humaines, aussi est-il est plus réaliste de parler d’une séquestration ou d’un piégeage du CO2 plutôt que de son élimination grâce aux forêts.
Chez les végétaux en général et les arbres en particulier, la photosynthèse permet de dissocier le dioxyde de carbone de l’air pour fournir le carbone, qui formera des sucres qui constitueront la cellulose ou la lignine de la plante, et de l’oxygène qui est rejeté. Parallèlement à la photosynthèse, on observe le processus inverse : pour assurer leurs fonctions vitales les cellules végétales « respirent » pour brûler une partie du sucre qu’elles ont fabriqué et produisent de l’eau et du CO2, rendus à l’atmosphère.
Tant qu’un arbre vit et croît, il consomme plus de dioxyde de carbone par la photosynthèse qu’il n’en produit par la respiration. Lorsqu’il est abattu le carbone reste “en stock” pour le bois d’œuvre et retourne à l’atmosphère s’il est brûlé. Les arbres qui ne sont pas exploités relargueront du CO2 dans l’atmosphère après leur fin de vie (40 ans pour le peuplier, plusieurs centaines d’années pour le chêne) suite à la dégradation du bois mort, par des insectes et des micro-organismes (une petite partie de cette dégradation produit de l’humus qui gardera au sol une partie du carbone transitoirement capturé par l’arbre).
Rapportée à la durée de vie des arbres leur capacité de capture du CO2 est limitée et ne pourra compenser les émissions de C02 qu’à la condition d’augmenter très significativement la surface totale des forêt alors que l’espace disponible pour le faire est limitée. En fait, la priorité est d’abord de préserver les forêts existantes car la conversion des forêts pour un usage agricole cause 20 à 25 % des émissions de gaz à effet de serre. La gestion raisonnée de leur exploitation est tout aussi essentielle. En zone tempérée la récolte de bois est compatible avec la préservation de l’équilibre des écosystèmes et la séquestration longue du CO2 si le volume de bois abattu chaque année ne dépasse pas la capacité de régénération. Cela vaut aussi pour les forêts tropicales : une étude publiée en mars 2020 dans la revue Nature montraient que la forêt amazonienne, non exploitée, est devenue émettrice de carbone et que celles d’Afrique tropicale ne tarderont pas à le devenir.
Quant à la “compensation Carbone” elle peut se faire
- à la source en réduisant les combustions inutiles ou à faible rendement qu’il s’agisse du bois (ou tout autre produits fossiles…)
- en utilisant plus de bois “matériau” dont le bilan énergétique est 4 fois meilleur que celui du béton, 200 fois supérieur à celui de l’aluminium…
Outre leur rôle dans le stockage du CO2 les écosystèmes forestier sont utiles par de nombreuses autres fonctions aussi importantes, voire plus : les forêts drainent l’eau et participent à la régulation de ses flux et cycles ; elles stabilisent les sols et réverbèrent la lumière solaire. Par leur organisation subtile et la multitude d’espèces vivantes qui les composent elles abritent une flore et une faune abondantes qui en font une une source de subsistance pour une grande part de l’Humanité.
Forêt et cycle de l’eau
Les forêts sont majoritairement responsables du phénomène d’évapotranspiration : par leur leur feuillage les arbres expirent plus de la moitié de la pluviométrie qu’ils reçoivent. Ce fort pouvoir d’évapotranspiration, très supérieur à celui des milieux ouverts (pâtures, savane…), influence le cycle de l’eau par les précipitations qu’il génère ensuite : 1/ localement, par le maintien d’une hygrométrie élevée; 2/ à distance, par diffusion de la vapeur d’eau atmosphérique – ainsi le débit de la vapeur d’eau qui s’échappe de la forêt amazonienne dépasse celui de l’Amazone et agit à distance par des “fleuves aériens de vapeur” qui contribuent à l’humidité et aux pluies du versant est de la cordillère des Andes ainsi qu’aux pluies du Texas.
Les forêts en régulent les flux en ralentissant les ruissellements superficiels et en facilitant le stockage par infiltration vers les nappes souterraines par augmentation de la perméabilité et de l’aération du sol. Par ailleurs la pluviosité sous le couvert est augmentée par la capacité des forêts à condenser l’humidité atmosphérique, d’autant plus si le feuillage est dense, ce qui augmente l’effet “réservoir”. Enfin, par leur capacité à tamiser les pluies et le pouvoir drainant de leurs réseaux.
Forêts et conservation de la biodiversité
Les forêts contribuent à l’équilibre global des écosystèmes en protégeant la majeure partie de la biodiversité terrestre. D’après le dernier rapport de la FAO (2020) « les forêts contiennent 60 000 espèces d’arbres différentes, 80% des espèces d’amphibiens, 75% des espèces d’oiseaux, 68% des espèces de mammifères et la grande majorité des invertébrés dont le nombre des espèces est estimé à 5 à 10 millions dont la plupart sont des insectes. »
Outre la flore et la faune qu’elles abritent, par l’habitat qu’elles procurent à de nombreux pollinisateurs les forêts rendent un service inestimable aux productions alimentaires durables : on estime que 75 % des principales cultures vivrières du monde, représentant 35 % de la production alimentaire mondiale, bénéficient de la pollinisation animale pour la production de fruits, de légumes ou de semences.
Si l’effet de la déforestation sur le « bilan carbone » de la planète est inquiétante à moyen terme, la perte de biodiversité causée par la déforestation l’est infiniment plus car elle réduit à court terme la résilience des écosystèmes dont dépendent les modes de vie et la nourriture des populations..
La forêt, atout mal connu de l’économie mondiale
Les forêts constituent une ressource pour l’économie en générant un produit (légal) de 600 milliards de dollars soit 1 % du PIB mondial avec de forts écarts selon les zones géographiques. Ainsi, les activités liées à la forêt ont représenté au moins 10% du PIB dans 19 pays africains; en Europe, l’industrie forestière génère 3% du PIB de l’UE et, sans surprise, la contribution de la forêt à l’économie est faible ou négligeable dans les pays faiblement couverts (Israël, Uruguay…) ou désertiques (Mauritanie, Égypte, Arabie saoudite…)
Cette contribution apparemment modeste si l’on s’en tient aux échanges mesurables et à la seule extraction du bois ne doit pas occulter les autres produits ou services qui « alimentent en silence » des économies locales qui concernent plusieurs milliards d’habitants.
Le prélèvement de bois s’élève à plus de 3900 millions de m³ par an dans le monde soit 1% du stock sur pied.
Le bois rond représente la moitié des usages : sans transformation (poteaux, pieux,..) ou pour la production du bois d’œuvre, des plaquages, d’emballages divers (caisses, palettes…) et les sous-produits servent à la fabrication de panneaux de particules ou sont dirigés vers les filières « bois énergie » des pays développés. Les bois est aussi la source de cellulose utilisée pour la production du papier et du carton.
L’autre moité est directement destinée à la production d’énergie par plus de 2 milliards de personnes qui l’utilisent surtout pour la cuisson des aliments par combustion (en milieu rural) ou après transformation en charbon de bois (en milieu urbain). On notera le cas particulier du Brésil dont 70 % de l’acier est produit avec du charbon de bois, majoritairement élaboré à partir de bois de plantations où l’eucalyptus est l’essence la plus représentée.
En réalité la valeur des biens et services fournis par la forêt dépasse celle de la production marchande car, en milieu rural notamment, elle offre un complément au revenu agricole ou/et du travail alors que les possibilités d’emploi sont limitées voire inexistantes. À l’échelle mondiale, environ un milliard de personnes dépendent des systèmes agroforestiers pour se nourrir ou/et comme source de revenus, principalement dans les pays en voie de développement : aux produits alimentaires prélevés en milieu naturels (gibiers, poissons, insectes comestibles, végétaux et champignons comestibles…) s’ajoutent le ramassage du bois ou la production de charbon de bois pour un usage domestique ou pour la vente locale.
Ce sont des populations très défavorisées qui sont tributaires des forêts qui assurent leur subsistance et leur évitent de sombrer dans l’extrême pauvreté qui touche déjà 60 millions de personnes totalement dépendantes de ce milieu (notamment parmi les populations autochtones des forêts tropicales humides d’Afrique de l’Ouest , d’Amérique latine, d’Asie du sud-Est).
Les forêts contribuent aussi au bien-être et à la santé humaine (espace de détente ou de repos, pharmacopée…). Réciproquement elles abritent un grand nombre d’espèce pathogènes, de parasites et leurs vecteurs pouvant provoquer des maladies sévères (paludisme, fièvre jaune, maladie de Lyme…) ou des zoonoses (fièvre Ebola, leptospirose,…) dont la propagation est accentuée par la dégradation ou la destruction des espaces où vivent les animaux réservoirs de leur agents infectieux.
En examinant les principales fonctions des forêts on voit qu’il est illusoire de penser que elles peuvent absorber tout le CO2 produit par les activités de l’homme moderne et il est dangereux de laisser faire leur conversion tous azimuts (terre agricole, plantations en monoculture, …) qui aggrave la production de gaz à effet de serre ou/et déstabilise des écosystèmes essentiels .
Il est donc primordial de ne plus affaiblir la fonctionnalité de la forêt mondiale en préservant les surfaces existante qui doivent être gérées durablement. Cela permettra de maintenir les grands équilibres naturels de la planète tout en prélevant raisonnablement les bois qui répondent avantageusement à des besoins de matériaux par son bilan carbone imbattable et en assurant la subsistance à des populations pour lesquelles forêt est vitale.
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