Les systèmes agroalimentaires mondiaux nous nourrissent (plus ou moins, plus ou moins bien) et assurent les moyens de subsistance de plus des 10 % des Terriens. Cependant ces systèmes sont confrontés à un défi inédit : outre leur valeur marchande, les aliments que nous mangeons ont un des coûts cachés, environnementaux et sanitaires, qui se sont élevés à 11,6 mille milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2023. Ainsi pour 100 € de nourriture achetée il en coûte 130 € à la société.
Manger pour vivre : quoi, combien ?
Les besoins alimentaires de chacun des 8,2 milliards d’êtres humains qui peuplent la planète sont les mêmes à peu de choses près. Mesurés en consommation d’énergie ils s’élèvent à 2500 kilocalories par jour et par personne. Un régime équilibré doit apporter 15 % de protéines ainsi que des fruits et légumes à raison de 500 grammes par jour.
Si on convertit ces besoins en poids d’aliments consommés par an cela fait 1,4 milliards de tonnes de céréales, 930 millions de tonnes de lait, 350 millions de tonnes de viande et poisson, 80 millions de tonnes d’œufs ainsi que 2 milliards de tonnes de fruits, légumes et tubercules.
La surface agricole disponible pour ces productions – 4,9 milliards d’hectares – représente 38 % de la surface des terres émergées du globe. Elle est composées de 3,3 milliards d’hectares de prairies et pâturages permanent, 1,6 milliards d’hectares de terre arable (dont 27 millions d’ha sont inexploités) et 140 millions de plantations diverses (productions arboricoles, vignes,…)
La consommation d’aliments transformés à partir des produits bruts mentionnés ci-dessus difficilement chiffrable à l ‘échelle planétaire car les modalités de « transformation » sont très diverses selon les techniques (découpe, séchage, cuisson, élaboration de produits composites…), d’une part et selon opérateurs (à la maison, au restaurant, dans l’industrie…), d’autre part.
Cela dit, si la fraction de produits dits hautement transformés dans le régime alimentaire n’est pas connue partout il apparaît clairement qu’il ne représentent qu’une part infime ou nulle de l’alimentation des pays défavorisés (en Afrique centrale notamment). En revanche dans les pays développés ou en voie de développement la consommation des produits alimentaires hautement transformés ne cesse de progresser. D’après une méta étude publiée dans le British médical journal en 2023 et portant sur 36 pays ces produits constitueraient plus de la moitié du régime alimentaire moyen des adultes au Royaume-Uni et aux États-Unis, plus de 40 % en Suède, 30% en France et au Mexique, 25 % au Portugal, 20 % en Corée du Sud et 15 % en Colombie.
Si l’on s’en tient aux seules transactions commerciales : en valeur marchande la vente de produits alimentaires (hors boissons) est estimé à plus plus de 9.000 milliards de dollars par an soit près de 9 % du PIB mondial (Statista). On estime que 1,23 milliard de personnes sont directement employées dans l’ensemble des systèmes agroalimentaires mondiaux pour que les aliments parviennent jusqu’à nos tables (FAO).
Le commerce mondial des denrées alimentaires a atteint une valeur totale de 1 689 milliards de dollars en 2021 soit 6,2 % de la totalité des échanges mondiaux de marchandises cette année là : 27 300 milliards de dollars d’après l’OMC. On note que les pays développées importent une plus grande proportion d’aliments transformés :48 % du total de leurs importations alimentaires,versus 35 % pour les pays en développement.
Systèmes agro-alimentaires : l’envers du décor et ses coûts
Du champ à l’assiette
Gaspillage
Malgré l’inégal accès à l’alimentation dans le monde dont nous parlerons plus loin, les productions végétales, l’élevage, la pêche et l’aquaculture permettent actuellement de couvrir les besoins besoins alimentaires de la population mondiale. On notera que la différence entre la production et la consommation correspond au gaspillage de la fourche à la fourchette qui a été récemment estimé à 1,05 milliards de tonnes par an (PNUE, 2024). soit soit près de 20 % des aliments produits.
Impact climat et environnement
La masse totale des aliments qui nourrissent l’Humanité est largement produite par une agriculture intensive (91 % des terres cultivées dans l’Union Européenne) qui épand chaque année 200 millions de tonnes d’engrais et utilise 3,6 millions de tonnes de produits phytosanitaires. Le secteur de l’agriculture ne consomme (apparemment) que 2 % de l’énergie produite dans le monde, en revanche il représente 25 % des émissions de gaz à effets de serre (GES) : la production de méthane par la fermentation entérique des élevages de ruminants représentent 10 % la production mondiale de GES, la conversion nette de forêts à d’autres utilisations en relargue autant.
De la production primaire à la consommation finale (en passant par la transformation, le transport, la distribution et la chaîne du froid), l’ensemble des systèmes agro-alimentaires consomment actuellement environ 30% de l’énergie disponible dans le monde et sont à l’origine d’environ 30 % des émissions planétaires de GES.
Au total coûts environnementaux et sociaux cachés des systèmes agro-alimentaires dans le monde s’élèvent à 3.500 milliards de dollar d’après la dernière estimation de la FAO (2024)
Alimentation et santé
Les profondes modifications l’alimentation et des habitudes alimentaires au cours des dernières décennies a conduit l’Humanité dans une situation paradoxale : pendants que certaines populations ne mangent pas à leur faim, d’autres souffrent de la mal-bouffe.
733 millions de personnes ont été confrontées à la faim en 2023
C’est ce que nous révèle le dernier rapport des agences des Nations unies sur l’insécurité alimentaire dans le monde publié en 2024. qui précise que la tendance de la faim dans le monde est restée pratiquement inchangée ces deux dernières années, à un niveau légèrement supérieur à 9 % de la population mondiale avec de fortes disparités selon les régions.
Les pays pauvres sont les plus touchés notamment en Afrique proportion de la population souffrant de la faim continue d’augmenter (20,4%), pendant qu’elle se maintient en Asie (8,1%) – région comptant plus de la moitié des personnes qui souffrent de la faim dans le monde –, et diminue légèrement en Amérique latine (6,2%), ainsi qu’en Europe et aux États-Unis (1,8%).
Au-delà de la faim, ce rapport de la FAO souligne que l’accès à des aliments nutritifs en quantité suffisante reste difficile pour près d’un tiers des Terriens, ce qui les expose à diverses formes de malnutrition et aux pathologies qu’elles génèrent (retard de croissance, anémie, etc). En 2023, ce sont 2,33 milliards de personnes dans le monde qui étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère et plus de 864 millions d’entre elles ont connu une insécurité alimentaire grave (c’est à dire qu’elles n’ont plus de nourriture et qu’elles sont restées un jour ou plus sans manger)
Au même moment, 2,9 milliard d’êtres humains sont en surpoids…
…dont 890 millions d’adultes et 390 millions d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 19 ans qui sont obèses ! Leur alimentation pléthorique et/ou déséquilibrée impacte sévèrement leur santé par les maladies non transmissibles (MNT) qu’elles favorisent (diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers, …)
Au total les mauvaises habitudes alimentaires causent un cinquième des décès dans le monde et elles impactent fortement les dépenses de santé avec un coût mondial estimé à 8100 milliards de dollars par an (FAO,2024). Cette estimation est un minimum, car elle n’inclut pas les impacts de la sous-nutrition estimés 2400 milliards de dollars par an (Banque mondiale, 2019).
Ce rapport constate que la moitié de ce coût est causé par une alimentation pauvre en céréales complètes (18 %), par les régimes riches en sodium (16%) et pauvres en fruits (16 %). S’y ajoutent les régimes riches en produits hautement transformée, pauvres en légumes, trop riches en protéines animales …
Disparités et inégalités
Géographiques
En rapportant les coûts cachés au produit intérieur brut (PIB) on mesure
- à quel point ils sont un fardeau pour les économies notamment dans le groupe des pays en crise alimentaire prolongée (Afghanistan, Éthiopie, Niger, Syrie, Yémen…) où il atteignent 47 % du PIB en moyenne ainsi que dans le groupe des pays dotés de systèmes agroalimentaires traditionnels (Bangladesh, Comores, Kenya, Pakistan, Sénégal, Tadjikistan, Zambie…) où ils s’élèvent à 23 % du PIB en moyenne. On notera ces deux groupes de pays que les coûts cachés sociaux, causés par la sous-alimentation, sont particulièrement importants.
- Le poids des coûts cachés associés aux MNT (conséquences de dérives des habitudes alimentaires) est le plus élevé dans le groupe de pays en voie de diversification (Algérie, Chine, Gabon, Iran, Mexique, Serbie, Afrique du Sud, Tunisie,Ukraine…) où ils représentent 10 % du PIB en moyenne
- Qu’ils soient causés par la sous-nutrition ou l’obésité et les MNT, la faible part des coûts cachés (6 % du en moyenne) dans le groupe des pays industriels (Australie, Canada, Corée du Sud, États-Unis, Israël, Japon, Nouvelle Zélande, Norvège, Royaume-Uni, Suisse, Union Européenne) reflète leurs plus grandes capacités financières, leur meilleur systèmes de de santé et une tendance à la demande de régimes alimentaires plus sains à mesure que les revenus augmentent.
Humaines
Bien qu’ils jouent un rôle incontestable dans la création d’emplois dans le monde entier, les systèmes agroalimentaires n’offrent pas toujours un niveau et une qualité de vie acceptables.
Partout sur la planète les populations vulnérables sont laissées pour compte notamment les personnes en situation de pauvreté et d’insécurité alimentaire, les petits acteurs de la chaîne de valeur, les migrants et les réfugiés, les personnes handicapées et les peuples autochtones. Ces groupes sociaux supportent la plus grande part des coûts cachés des systèmes agro-alimentaires.
Réduire les coûts cachés pour aller vers le juste prix
C’est le défi à relever avec des solutions innovantes et une action collective. Soyons lucides, le chemin à parcourir sera long semé d’embûches car la transformation de nos systèmes agroalimentaires nécessite une collaboration sans précédent entre toutes les parties prenantes : décideurs politiques, producteurs, consommateurs et institutions financières.
Les producteurs, qui sont en première ligne des impacts de la crise climatique, supportent une part importante du fardeau tout en étant confrontés à des défis pour adopter des pratiques durables. Des mécanismes doivent être mis en place pour alléger leurs charges financières et administratives, encourageant ainsi un changement des pratiques tout en veillant à ce que les avantages et les coûts de la transition soient répartis équitablement entre les différents acteurs des chaînes de valeur agroalimentaires.
Les entreprises (des petites exploitations ou industries locales aux groupes multinationaux), les distributeurs ainsi que les investisseurs dans les systèmes agroalimentaires ont également un rôle essentiel à joue pour favoriser des pratiques durables dans toutes les chaînes d’approvisionnement.
Les consommateurs, qui constituent le plus grand groupe d’acteurs agroalimentaires au monde, peuvent être à l’origine de changements significatifs par le biais de leurs décisions d’achat à condition qu’ils soient correctement informés (voire formés) quant au B-A-BA d’une alimentation saine.
Rappelons enfin que le véritable changement commence par des actions et des initiatives individuelles, idéalement encouragées par des politiques publiques volontaristes et des investissements pertinents.
Nous avons tous un rôle à jouer, et l’effort collectifs pourra vers conduire vers juste prix de notre alimentation grâce à une meilleure production, une meilleure nutrition, un meilleur environnement et donc une meilleure vie aujourd’hui ET pour les générations futures.
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Il y a les coûts économiques.
Puis le coût psychologique de la privation des l’enfance.
La solution ne réside pas seulement dans la production mais dans la distribution des aliments.
Rendre autonome les populations au travers le monde pour subvenir à leur alimentation est la voie à suivre.
Bonjour, votre article est intéressant.
Cependant vous utilisez le terme de “phytosanitaires” au lieu de biocides ou pesticides, mot qui a été créé par l’industrie de l’agrochimie pour un but marketing et pour minimiser l’effet réel de ces produits fait pour tuer (plantes, animaux, bactéries, champignons…).
Dans le paragraphe “Alimentation et santé”, vous ne mentionnez que les problèmes de malnutrition ou d’excès de nourriture alors que les principal problèmes de la production sont les effets nocifs des pesticides et vous ne le mentionnez pas du tout ! Incroyable !
Je vous propose de lire par exemple le livre d’Hélène GROISBOIS “La disparition du vivant et moi” qui vous donnera de bonnes sources pour réécrire votre article ou ajouter un paragraphe sur les pesticides et bien insister sur toutes les maladies qu’ils provoquent chez les humains et l’extermination du vivant qui est en cours à cause de ces biocides.
Hélène Grobois est focus sur ses peurs personnelles même si je reconnais qu’elle écrit très bien.
Mais trop, c’est trop 😂