Dégel de la cryosphère : chaud devant !

© Mario Hompmann

Les régions gelées de la planète, banquise, calottes glaciaires, glaciers et pergélisol ne cessent de fondre à cause du réchauffement climatique. Leur disparition met en péril l’approvisionnement en eau douce de milliards d’êtres humains, fragilise les écosystèmes, menace les infrastructures et augmente niveau des mers. Voyons quelle est (sera) l’étendue de ce phénomène planétaire et quels sont (seront) ses principaux effets.

Cryosphère une histoire de cycles

Sur la Terre l’eau est présente sous ses trois états : solide, liquide et gazeux.

C’est la phase liquide (océans, eaux terrestres de surface et souterraines) qui prédomine avec 98 % du total alors que phase solide en stocke 2 %(dans les régions polaires et en altitude), et la vapeur d’eau atmosphérique en brasse continûment 0,001 %. NB L’eau douce représente 3 % du total dont plus des deux tiers stockés dans les glaces

La quantité de la glace a varié au fil du temps comme en témoignent les traces que notre planète a gardé des glaciations anciennes : la glaciation de Pongola (à −2 900 Ma) ; l’Huronien (de −2 400 Ma à −2 100 Ma) ; le Cryogénien (de −720 Ma à −635 Ma) ; l’Andéen-Saharien, à l’Ordovicien (de −450 Ma à −420 Ma) ; la glaciation du Karoo, à la jonction Carbonifère – Permien (de −360 Ma à −260 Ma). 

Plus récemment des glaciations dites quaternaires se se sont succédé de -2,6 Ma à – 12 ka avec une périodicité de l’ordre de 100.000 ans.

Si l’amplitude de chacun de ces épisodes n’est pas connue précisément on sait que la Terre a été presque entièrement couverte de glace (« Terre boule de neige ») à certaines périodes de son histoire : pendant le Cryogénien (720–635 Ma) et lors de glaciation huronienne (2,4–2,1 Ga).

Réciproquement, pendant l’ère du Mésozoïque (de -251 Ma à -65,5 Ma) la température moyenne était de 20°C (soit 5° de plus que le record de 2024) et la Terre a été quasi totalement dépourvue de surfaces de glace ou de neige permanente, y compris dans le régions polaires.

Cette rétrospective montre que les variations « naturelles » de la cryosphère se font sur un temps long
qui se compte en millier de siècles voire plus.

La cryosphère aujourd’hui

La cryosphère est constituée de l’ensemble des surfaces gelée de la planète de glace et de neige qui se présentent sous différentes formes :

Eau de mer congelée

On la trouve dans les banquises arctiques et antarctiques (dont les surfaces respectives varie avec les saisons ( de 4,2 à 14 millions de km² au Nord ; de 2 à 17 millions de km² au Sud

Eau douce gelée

Elle est située sur les continents : 1/ calottes glaciaires qui recouvrent 10 % de la surface des terres émergées (Antarctique 14 millions de km² et Groënland 1,7 millionsde km²). 2/ glaciers plus de 275.000 qui couvrent 700.000km². 3/ Pergélisol (sol gelé en permanence aussi appelé permafrost) situé en Alaska, au Canada et en Russie dont la surface est de 18 millions de km² soit un quart des terres émergées de l’hémisphère Nord 4/Neige et glaces saisonnières

La cryosphère fond

Depuis le début de l’Holocène, il y a environ 12 000 ans, la surface des glaces sur la Terre a varié en raison de facteurs naturels (volcanisme, changements lents de l’orbite de la Terre autour du Soleil, circulation thermohaline). Au cours des deux derniers siècles, la fonte de la cryosphère est due au réchauffement climatique causé par les émissions gaz à effets de serre (GES) dues l’activité humaine.

Sur les derniers 12 000 ans, les variations naturelles du (des) climat(s) ont toujours eu des effets variables selon les régions ou hémisphères. Il n’y a jamais eu un changement affectant tous les glaces du globe, contrairement à ces derniers 150 ans où toute la cryosphère est impactée.

Les observations des dernières décennies illustrent la vitesse de ces changements

Au cours des 40 dernières années, la surface de la banquise a diminué d’environ 12,8 % tous les dix ans soit une réduction de 40 % de sa superficie totale.

Depuis 20 ans, la calotte glaciaire du Groenland a fondu à un rythme de 280 Gt/an ; en Antarctique, la perte est de 160 Gt/an. L’ensemble des glaciers a fondu à un rythme de 220 Gt par an.

La température du pergélisol ne cesse d’augmenter depuis les années 1980. Ainsi sur le versant Nord de l’Alaska, elle a augmenté de 5,8 °C en trente ans ; Dans la région subarctique canadienne (Yellowknife), sa température moyenne se situe entre autour de -1 °C, température au dessus de laquelle le sol gelé commence à fondre.

Les effets du dégel de la cryosphère sont significatifs

Influence sur le climat

Diminution de l’albédo

La réduction de la couverture glaciaire du globe diminue d’autant son effet albédo, c’est à dire la part de rayonnement solaire qu’elle réfléchit ce qui entraîne une plus grande absorption d’énergie et une augmentation de la température. Cette rétroaction a pour effet d’accentuer la perturbation de la cryosphère : la fonte augmente l’accélération de la fonte !

Modification de la circulation thermohaline

La fonte de la banquise aux pôles relargue de grandes quantité d’eau douce en même temps qu’augmente la température des mers polaires ce qui impacte les courants océaniques dus au différences de température et de salinité (circulation thermohaline). Pour exemple : l’accumulation d’eaux froides et non salées à l’intérieur du Gulf Stream altère la circulation des eaux chaudes en profondeur et vers le sud aboutissant à une baisse des températures en Europe de l’Ouest.

Production de gaz à effet de serre

Le dégel du pergélisol provoque la libération de matières organiques dont la dégradation microbienne produit du dioxyde de carbone et du méthane. Cela augmente la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et, ipso facto, cela accentue le réchauffement à la surface de la Terre .

Incidence sur les écosystèmes

Les espèces adaptées au froid et dépendantes de la neige ou de la glace migrent en altitude ou

vers les pôles au fur et à mesure que leur habitat disparaît. On observe aussi le déclin d’animaux comme la baleine boréale, le béluga, le caribou, le manchot Adélie, le morse, le narval, l’ours polaire…*

Parallèlement, on observe déjà une augmentation de la couverture végétale qui verdit la toundra arctique (la plus septentrionale) et une raréfaction de la végétation dans la toundra et la forêt boréales. Les espèces ligneuses devraient continuer de s’étendre pour couvrir 25 à 50 % de la toundra arctique d’ici 2050 ; la forêt boréale va progresser à sa limite nord et s elle va s’éclaircir à sa limite sud.

La fonte du pergélisol et la diminution de la couverture neigeuse affecteront le cycle de l’eau de l’Arctique par une intensification des précipitations entraînant l’assèchement des sols. Cela impactera la faune et la flore et augmentera les risques d’incendie.

Impacts sur les communautés humaines

Les populations vivant dans l’Arctique et en haute montagne sont déjà affectées par la fonte des glaces.

Eau et ressources économiques

C’est l’accès à l’eau qui pâtit en premier de la réduction de la cryosphère terrestre. Les glaciers et les calottes glaciaires stockent près de 70 % de l’eau douce de la planète. Ce sont des « châteaux d’eau » essentiels qui approvisionnent plus de 2 milliards de personnes en eau douce dans le monde. De plus, les bassins fluviaux dont les affluents naissent en montagne fournissent de l’eau douce à plus de la moitié de la population mondiale, en particulier dans la région formée par l’Himalaya, l’Hindou Koush et le plateau tibétain, connue sous le nom de «troisième pôle».

Les ressources alimentaires (agriculture, élevage, chasse, pêche) sont également affectées les évolutions hydrologiques causées par la fonte de la cryosphère. Par ailleurs, les modifications de la saisonnalité des flux d’eau ont des effets sur le fonctionnement des infrastructures hydroélectriques et, par suite, sur la production d’énergie.

La réduction de la cryosphère en haute montagne impacte l’activité touristique (ski, ski-alpinisme,..) dont la durée annuelle se contracte petit à petit depuis plusieurs décennies. Les techniques d’enneigement artificiel sont de plus en plus coûteuses et de moins moins efficaces avec le réchauffement de l’atmosphère. Plusieurs stations ont définitivement arrêté leurs activité liés à la pratique du ski (En France : L’Alpe du Grand Serre, Notre-Dame-de-Pré, Le Grand Puy, Le Tanet…).

Santé

La fonte de la cryosphère accroît les risques sanitaires. Ainsi les population autochtones des régiosn arctiques sont exposés à des maladies alimentaires. En Europe, la fontes des glaciers relargue des polluants qui s’y sont accumulées par voie aérienne, en particulier les biphényles polychlorés (BPC), le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (benzo[a]pyrène) et les métaux lourds (mercure).

La fonte du pergélisol libère des bactéries et des virus qu’il avait emprisonnés. En 2016, une épidémie soudaine a provoqué la mort de milliers de rennes, l’hospitalisation de 90 personnes et la mise en quarantaine de la population locale de la péninsule de Yamal au nord de la Sibérie: l’agent pathogène en cause (une bactérie de l’anthrax maladie du charbon) provenait de la carcasse d’un animal jusqu’alors séquestrée dans le permafrost. Plus généralement, ces sols gelés renferment aussi des bactéries qui pourraient être résistantes aux antibiotiques et des virus potentiellement infectieux (variole).

Infrastructures et mobilité

20 % du pergélisol arctique est menacé par un dégel brutal, ce qui entraînerait un affaissement du l’affaissement des terres dans l’Arctique et la déstabilisation des terrains en pente dans les régions de haute montagne ce qui endommage les bâtiments et les routes.

La fonte de la banquise depuis 20 ans a ouvert de nouvelles routes maritimes et l’augmentation du trafic. En 2011, 4 navires ont traversé le passage du nord-est. En 2018, 227 ont emprunté

le même itinéraire. Cette augmentation des activités de transport maritime accroît le risque d’introduction d’espèces invasives et de pollution indésirables.

Habitat et niveau de la mer

Actuellement, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires prend part à l’augmentation du niveau des océans à un rythme de 0,77 mm/an pour le Groenland, 0,43 mm/an pour l’Antarctique et 0,61 mm/an pour les glaciers.

Selon que l’on se base sur les scenarii optimiste ou pessimiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) la fonte de la cryosphère contribue à une élévation de la mer de 20 à 50 cm d’ici à 2100

Pour mémoire près de 11 % de la population mondiale réside dans des zones côtières situées à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer

Patrimoine scientifique, culturel et spirituel

La cryosphère est la gardiennes de l’histoire de notre planète. Dans les glaces anciennes, de précieux enregistrements du passé de la Terre ont été conservés dans les glaces ancienne , ce qui en fait d’inestimables des archives de l’histoire de l’humanité, de l’environnement et du climat.

Pour les peuples autochtones des régions arctiques, d’Asie, d’Amérique latine, du Pacifique et d’Afrique de l’Est, les entendues glacées ont une forte signification culturelle et spirituelle. Elles sont souvent vénérées comme des espaces sacrés et la demeure de divinités.

Pour conclure

Selon le GIEC, la fonte de la cryosphère observée depuis plus d’un siècle est irréversible. Le déclin des glaces terrestre devrait se poursuivre dans presque toutes les régions du monde tout au long du XXIe siècle. C’est un enjeu majeur.

Les mesures d’adaptation doivent être mise en œuvre sans délai pour maintenir les équilibres écosystémiques et l’annulation des émissions des GES est urgente pour stabiliser la température à la surface de la planète.

Le principal défi tient la différence de longueur entre les horizons temporels des changement climatique et ceux sur lesquels se prennent les décisions politiques au niveau national et international. Pourtant les impacts du dérèglement climatique et de la fonte de la cryosphère touchent tous les secteurs socio-économiques (eau, alimentation, énergie) et ne connaissent pas les frontières physiques et culturelles. Cela impose une approche multilatérale gage de réponses internationales cohérentes et synergiques.

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1 thought on “Dégel de la cryosphère : chaud devant !”

  1. Si nous y ajoutons les centaines de barrages du Tibet ( planifiées ou en cours) effectivement la guerre de l eau devient stratégique ( géo).
    Quid de l émergence des prochaines pandémies ( Anthrax , autres bactéries et virus) ?
    Merci pour cette projection et l’ état des lieux.
    “Adaptation” va devenir le maître mot !

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