En un peu plus de soixante ans le développement des satellites a profondément changé notre vie quotidienne. De Spoutnik à Starlink le chemin parcouru est impressionnant. Les prouesses technologiques et les applications de ces engins en orbite ont apporté de véritables progrès dont nous pourrons durablement profiter si la gouvernance de ce domaine politique et économique nouveau évolue elle aussi.
Lorsque que l’on regarde le ciel le soir, à l’œil nu ou au télescope, il nous arrive de remarquer dans notre champs visuel un petit objet ponctuel qui se déplace lentement en silence. Ce ne sont ni des avions, ni des OVNI. En fait il s’agit de satellites artificiels qui tournent autour de la terre pour nous rendre de nombreux services.
Un peu d’Histoire
Très tôt l’homme s’est intéressé aux corps célestes ainsi que le laisse penser des vestiges préhistoriques datant d’il y a plus de 30 000 ans. Pendant des millénaires, la lune, seul satellite naturel de la Terre, a fasciné de nombreuses civilisations dont la culture, la religion et la vie sociale ont été influencées par l’observation des mouvements de cet astre dans le ciel et leurs interprétations.
L’idée de voyager dans l’espace est moins ancienne, comme en témoigne des récits du deuxième siècle de notre ère et ce n’est qu’au treizième siècle que l’homme envoie des objets dans le ciel avec des première fusées inventées en Chine.
Au fur et à mesure que les l’on progresse dans l’utilisation de matériaux ou techniques de propulsion, les invraisemblances des fictions anciennes décrivant des Aller-Retours dans l’espace s’estompent peu à peu comme on peut le lire dans “Voyage chimérique au monde de la Lune” de Francis Godwin (1648), dans le roman mondialement connu de Jules Verne “De la Terre à la Lune” (1865) et dans première nouvelle faisant référence au concept de satellite “The Brick Moon” de Edward Everett Hale (1869).
Le premier ouvrage scientifique sur l’utilisation de fusées pour le lancement des engins spatiaux est publié par le russe Constantin Tsiolkovsky en 1903. Dans “Exploration de l’espace au moyen d’engins à réaction” il est le premier à calculer la vitesse minimale que doit atteindre un objet pour qu’il se place en orbite autour de la Terre (8 km/s) et à évoquer les satellites géostationnaires.
Dans “La Problématique du vol spatial” (1928) le Slovène Herman Potočnik décrit comment l’homme peut s’établir de manière permanente dans l’espace et les conditions d’utilisation des engins spatiaux pour procéder à des observations pacifiques et militaires de la surface de la Terre. Il étudie aussi le problème des communications entre le sol et les satellites avec la radio.
En 1945, Arthur C. Clarke (1917-2008) publie dans la revue Wireless World un article technique intitulé “Extra-terrestrial Relays — Can Rocket Stations Give World-wide Radio Coverage?” dans lequel il décrit en détail comment des satellites artificiels peuvent être utilisés comme stations relais pour les communications terrestres. Visionnaire, il prédit qu’avec un ensemble de satellites couvrant le globe il sera possible de disposer d’un réseau de télécommunication planétaire.
Spoutnik-1 et les premier satellites artificiels ouvrent un nouvel espace économique et géopolitique
C’est après la mise au point de fusées puissantes, dérivées du mythique V2 allemand, que les projets de lancement de satellites artificiels émergeront en 1955 aux Etats-Unis et en Union Soviétique pour aboutir au point de départ de l’ère spatiale : le lancement historique de Spoutnik-1 le 4 octobre 1957 qui sera placé en orbite avec un lanceur de 4 tonnes.
Ce premier satellite artificiel est une sphère métallique de 58 cm de diamètre pesant 83,6 kg. Il embarque des batteries électriques, des sondes de pression et de température permettant de contrôler le bon fonctionnement de sa pressurisation et de sa thermorégulation ainsi qu’un équipement émetteur radio avec lequel se feront les premières télécommunications dans l’espace : les deux émetteurs étaient suffisamment puissants pour permettre à des radioamateurs de capter le célèbre « bip-bip » du satellite partout sur la planète sur les fréquences radio de 20,005 et 40,002 Khz.
Quelques mois plus tard les États Unis entre dans la course avec L’URSS avec le lanceront le satellite Explorer 1 en février 1958. Après deux années émaillées de nombreux échecs dans le cadre de programmes scientifiques et militaires, 1960 marque un véritable tournant dans leurs applications avec les lancements réussis de satellites météo, de satellites et de télécommunication par les deux premières puissances spatiales du monde.
D’autres pays s’intéressent rapidement aussi aux applications des technologies spatiales nouvelles. Il envoient d’abord leurs satellites en orbite avec les lanceurs américains (Royaume Uni, Canada, Italie.. ). Après l’URSS et les USA c’est la France qui effectue en 1965 une mise en orbite du satellite Asterix de manière autonome avec un lanceur national la fusée Diamant-A.
Elle sera suivie par le Japon, la Chine, le Royaume-Uni, l’Inde, Israël, la Corée du Nord, l’Iran, la Corée du Sud qui, les uns après les autres, disposent aussi de leurs propres lanceurs ce qui leur confère le statut de « puissances spatiales » au sein de l’ensemble des 60 pays qui ont des programmes spatiaux et ou satellitaires.
Les satellites au service de l’Homme
Si les besoins des militaires sont à l’origine du développement des satellites pour observer l’ennemi dans les zones les plus improbables, il est rapidement apparu que ces objets nouveaux placés sur orbite avaient un potentiel d’application civiles dans de nombreux domaines
– les télécommunications de toutes natures,
– la localisation et la navigation qui permettent de connaître la position et déterminer le trajet d’objets à la surface de la planète (sur terre ou en mer) et dans les airs.
– de l’observation de la Terre dans un but scientifique (niveau des océans, température de l’atmosphère…) ou économiques (ressources minières, agriculture,…)
– de recherche académique (notamment astronomie et physique fondamentale avec les télescopes spatiaux).
Les satellites de télécommunications, constituent la première application commerciale de l’ère spatiale. Placés en orbite géostationnaire ils ont d’abord été utilisés pour des communications téléphoniques longue distance puis pour la diffusion de programmes télévisés et plus récemment pour les connexions internet à haut débit notamment pour des utilisateurs isolés ou dans des zones faiblement équipées en ADSL.
Les satellites de positionnement ont de multiples applications dont les plus connues sont la géolocalisation et le guidage de précision (à pied, en vélo, en voiture…) via la puce GPS contenue dans les smartphones (plus de 80 % des applications utilisent la navigation par satellite pour fonctionner, que ce soit sous Android ou Apple-IOS. Ces satellites de positionnement sont également très utiles pour :
– les relevés topologique, la cartographie en temps réel, l’observation des mouvements terrestres (tectonique des plaques, volcanologie)
– l‘agriculture de précision et la gestion des parcelles agricoles
– la pêche de précision
– le guidage des avions et leur pilotage automatique
– avec des balises dédiées ou l’émission de signaux spécifiques, il est aussi possible:
- de localiser des sinistres
- d’observer de la faune sauvage et plus particulièrement les espèces menacées et préserver la biodiversité
- de surveiller les océans, les volcans…
- de mesurer les ressources en eau douce
L’observation de la terre par les satellites a d’innombrables applications parmi lesquelles celle qui nous est le plus familière est la météorologie avec ses prévisions régulièrement mises à jour pour être présentées au public. Plus spécifiquement elle sert aussi au suivi des cyclones, à l’anticipation de la propagation d’épidémie par localisation des zones à risques (par exemple le paludisme par repérage de l’émergence de lieux favorables à la reproduction des moustiques), l’adaptation des activités agricoles en fonction des prévisions de température, de pluviométrie, etc.
La capacité des satellites à collecter sur de longues périodes de temps des informations précises sur la planète en font des outils précieux et incontournables en climatologie qui peuvent croiser des données océanographiques, atmosphériques et terrestres.
L’observation de la surface du globe est une ressource majeure pour les géographes. Outre la topographie, elle permet de dresser à des cartographies fonctionnelles 2D ( construction de routes ou de barrages) ou 3D (implantation d’antennes par les opérateurs téléphoniques). L’analyse des ondes électro-magnétiques émises naturellement à tel ou tel endroit du globe permet de localiser avec précision des ressources minières et agricoles.
Enfin, l’observation satellitaire permet d’objectiver les dégâts que la planète subit et d’y remédier autant que c’est possible comme on l’a vu à l’occasion
- de catastrophe naturelles (ouragans, tsunamis…),
- de dégradations résultant d’activités humaines (déforestation, pollution de réserves en eau…).
Satellites et transferts de technologie
Le développement des satellites depuis plus de soixante ans a nécessité de nombreuses inventions et innovations dont certaines ont pu être utilisées dans d’autres secteurs, par exemple :
– les propriétés du composite utilisé pour protéger le satellite “Echo” des ondes radioélectriques ont été reprises par la société King-Seeley Thermos pour la fabrication de bouteille isotherme grâce à sa capacité à réfléchir les ondes infrarouges par lesquels se dissipe la chaleur.
– CondorScan, une mini caméra qui filme l’intérieur de la bouche, réalise en temps réel l’empreinte des dents en 3D. Elle utilise une technologie développée au CNES pour les satellites d’observation de la Terre “Pléiades”. Au lieu de reconstituer en 3D la surface de la terre, la technologie reconstitue l’intérieur d’une bouche pour faire ensuite des empreintes numériques.
Les incontestables progrès que nous apportent les satellites sont assortis de problématiques nouvelles auxquelles qu’il nous faut apprendre à gérer.
L’inflation galopante des satellites encombre l’espace…
… par les satellite eux-mêmes (peu ) : des quelques 8000 envois de satellites dans l’espace en 60 ans il en reste un peu plus de 2000 en activité,
… par des débris (beaucoup ) : ces autres objets, qui se promènent autour de la planète sont produits
- lors de leur envoi (derniers étage du lanceur),
- lors de leur déploiement (cache des optiques des caméras embarquées, réservoirs largables),
- par fragmentation consécutive à une explosion ou implosion des pièces qui le constituent (batteries, réservoirs),
- suite à la destruction intentionnelle (et programmée) du satellites,
- lors de collisions entre satellites (exceptionnel) ou de collision de satellites avec ces débris.
A ce jour, on estime qu’il y a 34 000 objets de plus de dix centimètres (dont 21 000 sont cataloguées et donc suivis par des systèmes de détection), Près d’un million de débris de plus d’un centimètre et vraisemblablement plus de 150 millions de débris de plus d’un millimètre. La masse totale de ces débris est à peu près de 8 000 tonnes, soit le poids de la Tour Eiffel (ou de 1500 éléphants).
En nombre, le problème que pose la présence de ces débris reste relatif car l’Espace est grand ; ainsi dans la zone la plus polluée, en orbite à 800 km d’altitude, si l’on prends un cube de 10 km de coté on y trouvera en moyenne 5 débris de 1 mm ou plus. En revanche il faut garder à l’esprit que ces objets sont en mouvement à très grande vitesse (7 à 8 km/s), ils ont ont donc une grande énergie cinétique. Ainsi, en cas de choc, un débris en aluminium de 1 mm de rayon libère la même énergie qu’une boule de bowling lancé à 100 km/h !
Actuellement, les satellites endommagés ou détruits par des débris sont peu nombreux. Pour exemple on peut citer la destruction du satellite militaire français CERISE en 1995 et l’impact large de 40 cm provoqué par un débris d’une taille d’1 mm sur un des panneaux solaires du satellite Sentinel-1 de l’Agence Spatiale Européenne en 2016.
L’augmentation du nombre de satellites en orbite accroît le nombre de débris en mouvement ce qui multiplie le nombre de collisions accidentelles qui génèrent plus de débris encore. Cela risque d’entraîner une réaction en chaîne, et donc la croissance exponentielle du nombre de débris. C’est le syndrome de Kessler (du nom de l’astrophysicien qui l’a théorisé en 1978).
Nettoyer l’espace de tous des objets inutiles qui s’y trouvent maintenant demanderait un travail colossal. A défaut de pouvoir s’y atteler il faut agir
– techniquement : des mesures peuvent été prises pour limiter les risques (surveillance afin d’anticiper les collisions ou de dévier la trajectoire de satellites menacés, réduction de la production des débris par une conception adaptée comme la passivation des réservoirs ou limitation du largage de pièces)
– juridiquement : les règles de bonne conduite, non contraignantes ont été définies en 2007. Elles sont insuffisantes dans le contexte de concurrence économique qui prévaut dans le secteur spatial et la mise en place d’un cadre réglementaire international constitue donc l’un des défis qu’il faut relever rapidement afin de résoudre, entre autres les problèmes liés à la prolifération des débris générés par le développement des satellites.
Les satellites privés : opportunité ou menace ?
Le 23 mai 2019, la société SpaceX a fait une entrée fracassante dans l’écosystème des satellites avec le lancement en une seule fois de 60 satellites de télécommunications dans le cadre de son ambitieux programme « Starlink » destiné à proposer une large couverture Internet dans le monde entier grâce à la constellation artificielle qu’il constituera.
Au cours de sa première phase, d’ici à 2021, 1600 satellites seront lancés pour être déployés sur 72 orbites à 550 km d’altitude. A ce jour 595 ont lancés avec succès. Dans un deuxième temps SpaceX prévoie d’accélérer le rythme avec, à terme, le lancement de 180 nouveaux satellites par mois en moyenne jusqu’en 2025 pour la mise en orbite de12 000 satellites auxquels s’ajouteraient 30 000 satellites supplémentaires au cours des années suivantes.
L’entreprise d’Elon Musk n’est pas la seule à vouloir utiliser des flottes de satellites :
– OneWeb (Royaume-Uni) a déjà lancé en 2019 les premiers éléments d’une constellation de plus de 600 satellites et les suivants arriveront d’ici à 2022,
– Amazon annonce plus de 3 200 satellites pour son projet Kuiper à partir de 2021,
– Lynk et Facebook parlent de milliers de satellites entre 2021 et 2023.
A ce décompte il faut ajouter les projets de la Chine, de la Russie, de la Corée du Sud…
En quelques mois, le nombre total de satellites opérationnels autour de notre planète va donc doubler et, dans quelques années, il pourrait être décuplé. Outre l’augmentation des risques (débris et collisions) de ces envois “massifs”, les constellations de satellites vont rendre l’observation scientifique du ciel de plus en plus difficile.
Ces perspectives montrent que le «Droit de l’Espace» doit évoluer pour revisiter les réglementations afin de préserver l’équilibre des droits et obligations des parties prenantes qui «utilisent» l’espace.