Crise Covid : comment voyagera-t-on demain ?

Désert du Thar, Rajasthan © Xavier Drouet

La pandémie qui sévit depuis des mois a singulièrement réduit notre mobilité et bouleversé le paysage des déplacements touristiques et professionnels . La perspective d’un retour très progressif à une situation sanitaire apaisée permet d’entrevoir pourquoi et comment nous voyagerons dans les années qui viennent.

Depuis la nuit des temps voyager est un besoin naturel de l’homme qui s’est d’abord déplacé sur la planète dans la recherche de sa subsistance, de sa sécurité, de son bien-être, puis dans une quête de connaissance et d’élévation spirituelle ou/et intellectuelle. Indubitablement la mobilité est vitale pour l’homo sapiens.

Et pourtant… En nous précipitant dans une situation incertaine, exceptionnelle et menaçante, la crise sanitaire causée par le Covid19 a amené près de 4 milliards de personnes à accepter, sans préavis, de se cloîtrer, et de changer leur mode de vie et de sociabilité avec une mobilité singulièrement réduite.

La restriction des déplacements de faible distance momentanément interdits dans certains pays a eu des effets sur la vie sociale plus ou moins bien supportés grâce à la perspective d’un hypothétique retour à la normale. En revanche les interdictions portant sur les déplacements inter-régionaux et surtout internationaux ont bouleversé notre façon de voyager et pourraient la modifier durablement.

La pandémie Covid19 a immédiatement impacté le transport de voyageurs d’abord en Chine puis sur l’ensemble de la planète

Les premières mesures de restriction des déplacement sont prises par la Chine dès le 22 janvier 2020, deux jours après l’annonce qu’un nouveau virus responsable de pneumonies mortelles se transmet entre humain et trois villes de la province de Hubei, Wuhan, Huanggang et Ezhou, sont d’abord mises en quarantaine. Le 25 janvier, la zone de quarantaine est élargie à la quasi totalité de cette province, soit environ 56 millions d’habitants. Les unes après les autres les compagnies aériennes internationales suspendent leurs vols vers et depuis la Chine où le trafic aérien domestique se contracte de 80 %. 

Le 11 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 est déclarée pandémie par l’OMS qui demande des mesures de protection, notamment la suspensions des déplacements et voyages non indispensables. Le 31 mars, 40 pays sur les 5 continents, ont pris des mesures de confinement ou/et de restriction des déplacements plus ou moins sévères et ont fermé leurs frontières.

Le coup de frein sur les transports des voyageurs est brutal.

-En France , les effets du confinement sont immédiats  : le trafic aérien baisse de plus de 90 % et le trafic ferroviaire grandes lignes est réduit de plus de 85 % dès la première semaine. Les ventes des voyagistes enregistrent une baisse de 97% au cours de la période allant du 16 mars au 31 mars 2020.

-En Europe Les chiffres du trafic de la journée du 31 mars 2020 illustrent très bien l’impact du coronavirus sur le transport aérien : on ne dénombre que 174.000 passagers dans les aéroports de l’Union Européenne, contre 5,12 millions le 31 mars 2019.

-Au niveau mondial, d’après les données publiées par IATA, toutes les zones géographiques sont impactées dès la mi mars. Le trafic est au plus bas en avril avec une baisse de 95 % par rapport à 2019.

Passé l’effet de sidération, les effets sont perceptibles par tous et, partout, le brouhaha quotidien est repoussé par le silence. Les rues et les routes sont quasi désertes, les gares et les aéroports sont vides, les avions cloués au sol. Toutes les activités liées au tourisme sont sous le choc avec des conséquences économiques douloureuses notamment pour les destinations où le tourisme fournit du travail à de nombreuses personnes.

La vie sociale et culturelle est subitement désincarnée. 

A défaut de se déplacer physiquement on se « téléporte » grâce au communications numériques : visioconférence pour une réunion professionnelle, messagerie vidéo pour voir sa famille par écran interposé, apéros virtuels pour retrouver les copains sur les réseaux sociaux… Faute de pouvoir profiter du grand air d’un printemps tout neuf, les distractions virtuelles remplacent les activités touristiques habituelles : les uns voyagent en regardant les documentaires touristiques disponibles en streaming, les autres font des visites virtuelles des musées qui offrent ce service.

Passé la première période de confinement la reprise des voyages d’agrément est partielle et variable selon les pays.

Si l’on prend le critère de la baisse des recettes du secteur, on constate que les pays les plus affectés sont : la Thaïlande, la Grèce, le Portugal, le Maroc, l’Espagne… La France est en 10e position, la Chine, les États-Unis plus loin encore. 

Il peut paraître surprenant de ne pas voir en bas de classement les destinations recevant le plus de touristes en nombre absolu ; en fait cela s’explique par l’effet «amortisseur» du tourisme domestique dans ces zones très actives.

– En Chine : dès la fin du confinement le 8 avril le tourisme intérieur reprend progressivement stimulé par l’injonction de consommer venant de l’État. Il atteint 50 % de son niveau d’avant crise au mois de juin et 80 % lors de la Golden Week début octobre.

– Les USA : il est interdit de voyager dans de très nombreux pays, les Américains ont réduit de moitié leurs dépenses de voyage par rapport à l’été dernier mais le tourisme domestique s’est bien tenu avec de beaux succès pour certaines destinations se trouvant à moins d’une journée de route des grandes villes en particulier dans les parcs nationaux et les sites d’attraction ouverts. 

La France a résisté à cette crise du voyage inédite. 

La baisse de l’activité du secteur touristique qu’on y observe ( -25%) est causée par la diminution du nombre visiteurs étrangers à l’exception d’une clientèle internationale de proximité (les Allemands, les Britanniques, les Néerlandais, les Belges et les Espagnols) qui est partiellement compensée par progression du tourisme franco-français.

Le recherche de liberté et d’espace autant que le besoin d’un entre-soi et de retrouvailles en famille ou entre amis ont provoqué une explosion des réservations dès l’annonce en juin que le départ en vacances d’été sera autorisé.

Pour leur hébergement, les Français ont privilégié les résidences secondaires ainsi que les locations saisonnières et ils ont boudé les hôtels. Pendant l’été, les déplacement en avion ont chuté de 50 à 60 % selon les mois et le transport en train a marqué le pas avec une baisse de 20%. Les voyageurs préfèrent utiliser leur véhicule pour des raisons de commodité et de « distanciation » (A noter aussi : une forte progression, près de 50%, du tourisme nomade en van ou camping car). 

Si les zones littorales et montagneuses ont été plébiscitées les voyageurs ont aussi montré un intérêt nouveau pour la France rurale dans des départements comme la Creuse, la Nièvre ou la Lozère qui ont drainé de nombreux vacanciers.

Toutes les activités plein air (baignade, vélo, randonnée,…) ont connu un grand succès alors que fréquentation des musées et monuments s’est effondrée avec des baisses comprises entre 60% et 80% (en grande partie causée par l’absence des visiteurs étrangers dans les sites les plus connus)

S’il est prématuré de poser la question de la durabilité de ces changement, on peut néanmoins y voir des signaux faibles témoignant de changements futurs.

Après avoir été réduits au minimum, les voyages d’affaires repartent un peu. 

Dans les semaines qui ont suivi le déconditionnement, les voyages d’affaires en France atteignaient à peine 30 % du flux d’avant la pandémie. Avec le télétravail et la visioconférence les entreprises ont découvert de nouvelles façons efficaces de fonctionner à distance, en interne comme avec leurs clients. Outre les contraintes sanitaires, la nécessité de réduire les charges pour faire face à l’atonie du business les entreprises limitent les déplacements qu’il s’agisse de prospection commerciale ou de voyages «incentive».

La deuxième vague de la pandémie a arrêté cette fragile reprise des voyages partout où de nouvelles restrictions sont imposées fin octobre et début novembre, mais la publication le 9 novembre de résultats encourageants obtenus avec des vaccins en développement provoque une ruée de candidats-voyageurs sur les sites des professionnels du tourisme qui enregistrent une explosion des réservations pendant quelques jours, aujourd’hui les globe trotteurs attendent d’en savoir plus pour planifier leur futur périple lointains. En France l’autorisation de se déplacer, dès les vacances de Noël, provoque une explosion des réservations de la SNCF dans les minutes qui suivent son annonce le 24 novembre.

Il est clair que l’homme ne va pas cesser de se déplacer et dès que cela sera possible il voudra sortir de l’espace réduit dans lequel il est actuellement cantonné..

Certes, après cette crise sanitaire (dont on ne voit pas encore le terme…) le monde du voyage et l’industrie du tourisme ne vont pas rattraper (tout) le retard ni éponger l’intégralité des déficits. Avec les plans de vaccinations qui vont être progressivement déployés à partir des premiers mois de 2021, la protection de l’ensemble des populations prendra du temps et cela pèsera sur les conditions (et réglementations) qui s’appliqueront aux déplacements internationaux dont on peut attendre qu’ils soient moins nombreux avec de nouvelles attentes chez les voyageurs. 

A quoi peut on s’attendre en 2021 et au-delà ? 

A court terme 

D’après une large enquête internationale menée par la plateforme Booking près de la moitié des personnes interrogées déclarent attendre d’être vaccinés pour partir à l’étranger. De plus

  • le choix de la destination dépend peu ou pas des contraintes sanitaires du pays si elle ne portent que sur les tests et sur le port du masque qui sont largement acceptées alors que la quarantaine est rédhibitoire ;
  • la flexibilité est un facteur essentiel : la simplicité d’organisation ainsi que la faculté de modifier son voyage facilement et sans frais sont des éléments décisifs et 71% des voyageurs demandent que les modalités de réservation soient transparentes sur les conditions d’annulation, sur les processus de remboursement et sur les options d’assurance.  

Une autre étude réalisée par Inmarsat fait le même constat. Elle précise aussi qu’une très large majorité de passagers (83%) prévoient une évolution significative de leurs habitudes une fois la pandémie passée, et près d’un tiers des sondés (31%) estiment qu’ils prendront moins l’avion.

Les voyages des 18 prochains mois seront majoritairement nationaux, et ce pour tous les pays du Monde. Les dépenses consacrées au voyage seront plus faibles à cause de l’impact économique de la crise sanitaire et la peur de lendemains qui déchantent en terme de revenu. Les touristes vont privilégier les vacances de proximité et les logements économiques en saisissant les offres tarifaires les plus avantageuses pour leur transport. On note cependant que ceux qui ont ressenti le plus de frustration chercheront des formules d’exception tant par leur niveau de confort que par l’originalité du programme proposé.

Chez ceux qui feront des voyages internationaux on peut s’attendre à une frilosité pour les voyages destinations fortement impactés par la Covid19 (USA, Europe…), elles restent cependant des destinations recherchées pour des raisons diverses :

  • La rapidité à laquelle on pourra se faire vacciner avant de partir et la politique de quarantaine de ces pays
  • La chasse aux bonnes affaires en Europe où les professionnels du tourisme (hôtellerie et restauration notamment) vont baisser leurs prix pour attirer la clientèle 
  • Un effet «Biden» aux Etats Unis ; les touristes potentiels étant convaincus d’un retour à une situation sanitaire mieux gérée permettra la réouverture des frontières américaines.
  • L’attrait pour les grands espaces (safaris, treks, séjours itinérants) en Afrique bien que la logistique fragile risque de brider le retour des touristes à cause de la réduction des capacités de transports aérien, en particulier les liaisons intérieures (disparition de compagnies locales, fermetures des aéroports régionaux)

Réciproquement on peut s’attendre à ce que des pays tardent à ouvrir leurs frontières :

-en Asie du Sud Est avec le maintien durable de fortes restriction : validations administratives multiples, quatorzaine obligatoire etc…

– en Australie, en Nouvelle Zélande, où la fermeture des frontières a été la pierre angulaire des politiques de prévention, on s’attend à la filtration rigoureuse des voyageurs étrangers : la compagnie australienne Qantas a annoncé le 23 novembre que seules les personnes ayant été vaccinées contre le coronavirus pourront être autorisées à voyager sur ses vols internationaux.

A l’occasion des confinements , les entreprises se sont adaptées avec des moyens de communication modernes qui peuvent se substituer aux déplacements : transfert et partage de documents par Internet, signature électronique, téléconférence… 

Ces organisations nouvelles ne sont pas forcément provisoires et elles annoncent des changement durables . Pour les entreprises qui le poursuivront le télétravail va réduire les déplacement professionnels en interne. La visioconférence ne remplacera qu’une partie des déplacements car certains échanges ou négociations nécessitent un contact humain, sans compter les interventions où la présence est essentielle.

En plus d’être indispensables les voyages professionnels devront être sûrs car de l’avis des entreprises le risque sanitaire ne va disparaître avant un moment. L’évolution des méthodes management autant que la protection des transferts de données aidant, les déplacements/ voyages professionnels resteront à un niveau très inférieur à celui qui prévalait avant la crise. 

A long terme quelle (r)évolution pour les voyages et le tourisme ?

Sédentaires forcés depuis des mois, nombreux sont les voyageurs qui se sont interrogés sur la pertinence de leur voyages privés ou professionnel dans un contexte où ce que l’on sait de la maladie et de la capacité à s’en protéger laisse clairement penser que nous ne débarrasserons pas du virus Covid19 avant longtemps. Le questionnement sur la sécurité sanitaire vient au premier plan sans pour autant occulter d’autres sujets se rapportant aux populations des pays visités, l’empreinte carbone du déplacement notamment. 

Les voyageurs ont commencé à modifier leurs comportements et leurs exigences comme pouvaient l’indiquer des signaux faibles apparus avant la crise (écotourisme, séjours “hors des sentiers battus”, etc.). Aujourd’hui ils expriment une nette évolution dans leurs aspirations dans les enquêtes menées par les professionnels et par leur requêtes sur les plateforme de réservation qui relèvent 

  • une volonté de participer à la réduction du tourisme de masse et d’accepter des destinations moins connues si cela réduit leur impact du voyage sur l’environnement;
  • une attente de choix, de valeur ajoutée (originalité, contenu culturel), d’authenticité;
  • une recherche de contribution à la reprise économique par des voyages futurs qui bénéficient aux communautés locales des pays ou régions visités; 
  • l’acceptation d’un plus long temps de trajet vers la destination afin de n’utiliser qu’un moyen de transport et de réduire leur impact environnemental;
  • l’aspiration à faire du voyage un « temps fort » familial notamment dans les familles monoparentales ou recomposées, intergénérationnel le cas échéant

Pour les voyages itinérants 

  • la recherche de programmes de plus longue durée pour profiter davantage du trajet et des paysages avec une optimisation du circuit pour réduire les transferts entre sites visités.  
  • la demande de faire un voyage au cours duquel les déplacements sur place font partie intégrante de l’expérience de séjour (en utilisant les transports en communs locaux).
  • le souhait de partager des repas avec les populations locales

De plus en plus connectés, toujours mieux informés les voyageurs veulent donner du sens à leurs pérégrinations. Ils cherchent à découvrir des endroits méconnus, à préserver l’environnement et à tisser des liens profonds avec les personnes qu’ils rencontreront et les lieux qu’ils visiteront que ce soit dans leur propre pays ou dans des contrées lointaines.

Évidemment on peut douter que la dysneylandisation du voyage disparaissent totalement. Il y aura toujours des touristes consuméristes qui cochent les cases d’une liste de destinations où le voyage est une collection de photo-souvenirs narcissiques qui sont exhibés furtivement sur les réseaux sociaux. Cependant, il apparaît clairement que la conjonction de la pandémie et des débats sur l’impact du tourisme amplifie la tendance pour « éviter » une surconsommation dont on connaît déjà l’effet destructeur. 

La crise planétaire du Covid-19 est sans précédent et elle n’épargne aucune activité humaine. Elle peut toutefois être vue comme une chance de transformer durablement le secteur du voyage et repenser nos modèles vers un tourisme nouveau et plus durable qui profitera mieux aux populations dont c’est la ressource principale voire critique.

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