Du mythe d’Icare aux « machines volantes » de Léonard de Vinci : voler est le rêve de l’homme. Il a pu se déplacer par les airs à partir de 1783 grâce au ballon inventé par les frères Montgolfier puis en avion depuis à l’aube du 20ème siècle suite au premier vol des frères Wright en 1903.
Lorsque l’on compare le premier vol commercial de 1914, utilisant l’hydravion Benoist type XIV qui transportait un seul passager sur 30 km à 15 m d’altitude, avec les trajets long courriers du 21ème siècle, en Airbus 380 pouvant embarquer jusqu’à 850 passager et parcourir plus de 15 000 km à 10000 m d’altitude, on mesure facilement les progrès technologiques de l’aéronautique civile.
Le spectaculaire développement transport aérien de 1945 (9 millions de passagers) à nos jours (estimation 2023 : 4,3 milliards de personnes transportées) a fait de cette activité un secteur économique à part entière dont les émissions de gaz à effet de serre font débat et les moyens de les réduire sont l’objet de polémiques notamment sur l’opportunité de contingenter voire d’abaisser le trafic.
Le Transport aérien en chiffres
La flotte mondiale est estimée à plus de 23.000 appareils pour le trafic passagers et 2.000 pour les avions-cargos ne transportant que du fret. Elle effectue 100 000 vols par jour et l’ensemble de ces aéronefs parcourent 56 milliards de km par an (pic de 2019). En 2022 la répartition mondiale de l’activité, mesurée en passager.kilomètre, était : Europe (30,4%) Amérique du Nord 28,8 % Asie Pacifique 22,4 % Moyen Orient (9,8%).
Les vols intérieurs représentent 42 % de l’activité. ce ratio est un indicateur approximatif car un trajet Paris-Barcelone est classé vol international alors que le voyage New York – Los Angles est comptabilisé dans les vols intérieurs ce qui explique, en partie, que les États-Unis sont largement en tête (19,2%), suivis par la Chine (6,5%), l’Inde (2%), le Brésil (1,5%) le Japon (1,2%) Australie (1%).
Le Fret est estimé 220-240 milliards de tonnes.kilomètres pour 2023 ce qui représente 1 % du fret mondial en quantité (et 35 % en valeur) ; 60 % du fret aérien est acheminé dans les soutes des avions passagers.
Au total le chiffre d’affaire mondial du transport aérien s’élève à 727 milliards de dollars (dont 175 milliards pour le fret) ce qui génère directement et indirectement 75 millions d’emplois sur la planète.
Les prévisions de l’International Civil Aviation Organization (ICAO) font état de la poursuite de la croissance à raison de 3,5 % par an, principalement tirée par augmentation du trafic due à l’émergence de classes moyennes en Asie. A ce rythme le trafic pourrait doubler d’ici à 2050.
Qui prend l’avion ?
En 2023 ce sont 4,3 milliards de voyageurs qui seront transportés : autant qu’en 2019 année record avant la pandémie Covid (ce chiffre est la somme agrège toutes les personnes qui ont pris un avion dans l’année que ce soit une fois ou plus). Leur trajet moyen est 2400 km au niveau mondial et 1700 km à l’échelle européenne. 30 % des voyageurs aériens sont en déplacement professionnel et le trafic des voyages d’affaires est encore 20 % en dessous de ce qu’il était en 2019, avant la pandémie Covid.
Il est difficile de déterminer avec précision combien de personnes dans le monde ont déjà pris l’avion (que ce soit une fois dans leur vie ou pendant une période donnée) car les données personnelles des voyageurs détenues par les agences de voyage ou les compagnies aériennes sont confidentielles. D’après une étude menée par des scientifiques suédois en 2020 on estime que 11 à 20 % de la population mondiale est déjà pris l’avion au moins une fois et 2 à 4 % de la population aurait effectué un vol international en 2018.
En France une enquête publiée par l’Institut Jean Jaurès en 2022 a mesuré que 2 % % des français prennent l’avion plusieurs fois par mois, 9 % plusieurs fois par an, 56 % occasionnellement et 33 % jamais. On notera aussi la démocratisation du transport aérien due à la forte croissance de l’activité des compagnies low cost qui représente 43 % du trafic en France en 2022 (UAF) et 32,3 % des vols dans l’espace aérien européen en 2022 (Eurocontrol).
Avion, énergie et gaz à effet de serre
En 2019 les voyages en avions ont brûlé 410 milliards de litres de Kérosène issus de 7,2 % de la production pétrole dans le monde et ils ont généré 2,9 % des émissions planétaires de CO2. C’est moins que les secteurs du logement, de l’habillement, des services numériques… Cependant ces chiffres interpellent compte tenu des perspectives de croissance du transport aérien dans le contexte actuel de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour prévenir le dérèglement climatique.
Se pose alors la question des moyens d’action pour que l’avion et ses usages soit « climato-compatibles » : Peut améliorer les performances des aéronefs avec des technologies respectueuses de l’environnement ? Faut il brider son utilisation ?
Perspectives technologiques
Avion
Depuis le premier choc pétrolier la réduction de consommation de carburant est une priorité pour l’industrie aéronautique. Qu’il s’agisse du poids et de l’aérodynamique des avions ou des performances des moteurs… les progrès sont déjà mesurables : l’efficacité énergétique d’un avion a été multipliée par 5 en 50 ans par une diminution de la consommation unitaire au fur et à mesure de la mise en service de nouveaux modèles. Ainsi l’Airbus A321 Neo est 30 % plus sobre que les avions de la précédente génération (Boeing 757). La durée de vie d’un avion étant de 25 ans la traduction opérationnelle de ces efforts se fait progressivement les gains d’efficacité sont largement masqués par l’augmentation du trafic (x13 au cours des dernières années).
Carburants durables
Des carburants durables aussi appelés SAF (pour sustainable aviation fuel) permettent de réduire jusqu’à 80 % des effets de serre (sur leur cycle de vie complet) lors de leur combustion. Ils peuvent être produits à partir de biomasse : déchets forestiers, déchets agricoles, déchets ménager car, pour être certifiés, il ne doivent être sourcés avec des matières végétales qui ne concurrencent pas les ressources alimentaires, qui n’appauvrissent les populations, qui ne dégradent la biodiversité. Ils peuvent aussi être produits par synthèse à partir d’hydrogène (produite avec de l’électricité décarbonée) et de CO2 (e-SAF).
Ces carburants sont déjà utilisables dans les moteurs de la flotte actuelle (à hauteur 50%), la société Rolls Royce a annoncé il y a quelques semaines que sa dernière génération de moteurs (Pearl 15 et le Pearl 10X) peut fonctionner avec 100% de SAF.
Pour le moment ces carburants coûtent 3 à 10 fois plus cher que le kérosène et les filières de production doivent être développées à un rythme compatible avec la disponibilité de la biomasse, d’une part, et de l’électricité nécessaire à la production des e-SAF, d’autre part.
Le règlement européen « RefuelEU Aviation » adopté en septembre 2023 dispose que le taux d’incorporation de carburants durables au kérosène devra atteindre 2 % à partir de 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035, 34 % en 2040, 42 % en 2045, et 70 % en 2050.
Hydrogène
Les premiers prototypes ont été testés sur de courtes distances en 2007 et 2008 et c’est en janvier 2023 qu’un appareil de 19 places alimenté par de l’hydrogène a décollé pour la première fois. Airbus a lancé un ambitieux programme en 2020 et prévoit un premier vol test d’avion à hydrogène en 2025 et des vols commerciaux sont annoncé à partir de 2035 avec des avions moyen-courriers (à énergie égale l’hydrogène liquide occupe un volume quatre fois supérieur au kérosène ce qui limite la quantité transportable). Le remplacement progressif de la flotte moyen-courrier demandera du temps et n’aura pas d’impact significatif avant 2050.
Moteur électrique
Des avions alimentés avec de l’électricité stockée dans des batteries ont été mis point et certifiés (Pipistrel, Cessna). Ce sont de petit modèles dont le rayon d’action ne dépasse pas 200 km. Ces court-courriers sont destinés à des marché de niche:transport insulaire, aéroclubs.
On voit que les efforts de recherche et développement déployés depuis des années ont déjà des effets, leur l’impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien sera significatif à partir de 2035. La R&D du secteur aéronautique a mobilisé 3,4 milliards d’euros en 2021 soit près de 6 % de l’ensemble de la dépense intérieure de recherche et développement du pays. Faut il l‘augmenter pour accélérer le rythme des progrès écologiques ? Certainement, à conditions de trouver de nouvelles sources de financement. La Technologie va t elle résoudre tous les problèmes ? Vraisemblablement non, ce qui justifie que l’on s’intéresse au rôle que peuvent jouer les usagers et la société pour relever le défi de la décarbonation.
Rôle du voyageur
Pour bon nombre de voyageurs l’avion est synonyme de liberté, de découverte, d’aventure. Il est aussi perçu comme un moyen transport rapide et sûr. Le marketing des tour-opérateurs et le consumérisme de masse ont ils ancré le voyage aérien comme le must du dépaysement ? Pas sûr…, car des enquêtes récentes montrent qu’une majorité de français envisage de modifier leurs comportements de voyage au cours des 12 prochains mois afin de minimiser leur empreinte carbone dans leurs déplacements personnels et professionnels. Il y a là un signe que l’on s’interroge sur ses habitudes, que l’on cherche à comprendre ce qui pousse à voyager loin, réfléchir à son imaginaire et à repenser le voyage, en gardant à l’esprit l’impact social et environnemental de ses vacances.
A court terme il y a encore quelques efforts à déployer pour promouvoir les destinations de proximité pour faire préférer un week-end dans un site agréable d’une région française distante de deux ou trois heures de train plutôt qu’un séjour flash à l’étranger au bord de la piscine d’un complexe touristique bondé à deux heures d’avion. A moyen-long terme les nouveaux voyageurs de 2035 sont « à l’école » aujourd’hui et l’on peut leur montrer par des cours de géographie « humaine » que l’aventure ou/et le dépaysement ne sont pas forcément à des milliers de kilomètres.
Pour concilier liberté et sobriété, l’information et l’incitation sont certainement plus adaptées que des mesures coercitives imposant des quotas uniformes au niveau mondial d’autant qu’ils seraient ingérables faute d’une adhésion unanime des individus comme des dirigeants de leur pays.
Dispositions collectives
La modération du mésusage du transport aérien ne peut seulement reposer sur le changement de comportement des usagers. Les dirigeants politiques doivent prendre leur responsabilités par la mise en place de réglementations qui (re)cadrent les excès sans brutalement déstabiliser un secteur économique qui représente, en France, près de 9 % du PIB si l’on prend en compte l’industrie aéronautique.
Vols de courte durée.
En France les vols correspondant à des trajets pour lesquels existe une alternative ferroviaire de 2h30 ou moins sont interdits depuis mai 2023. L’impact de cette mesure est très limité car cela correspond à une réduction de 0,23 % de toutes émissions du secteur aérien du pays. Cela dit, on remarque des signes de désaffection du transport aérien pour des trajets plus longs comme Paris-Montpellier ou Paris-Marseille.
Trafic aéroportuaire
Le gouvernement néerlandais a prévu de réduire le trafic de l’aéroport de Schipol pour diminuer la pollution sonore : à partir de 2024 le nombre de vols sera plafonné à 452.500 par an soit 9,5 % de moins que le trafic qui avait été atteint en en 2019.
En France l’Ademe propose d’évaluer les impact sociaux-économiques qu’aurait une stabilisation du nombre de vols de tous les aéroports à l’instar de ce qui a été fait à Orly.
Prix
Depuis le développement de l’offre low-cost de nombreux trajets sont moins chers en avion qu’en train. S’il y a certainement besoin de clarifier la politique tarifaire de la SNCF, la différence de prix s’explique, en partie, par un différentiel fiscal : le kérosène n’est pas taxé (quel que soit le vol : intérieur ou international) et la TVA ne s’applique pas aux billets d’avion des vols internationaux.
Plusieurs pays taxent le kérosène consommé pour les vols intérieurs : la Norvège (0,17 €/l), la Suisse (0,48 €/ l) les États-Unis (0,06 à 0,10€/l selon les états) et le Japon (0,20€/). Taxer le kérosène pour combler le gap avec le secteur ferroviaire aurait comme autre effet de générer des ressources pour financer la transition énergétique du transport aérien. D’après une étude menée par l’ONG Transport et Environnement une taxe de 0,38 € par litre aurait rapporté 1,94 milliards à la France. Une étude la Commission européenne a simulé les effets d’une taxe entre 0,17 et 0,50 € par litre de kérosène qui entraînerait une réduction de 6 à 15 % du CO2 émis par le secteur.
Pour le voyageur le kérosène représente 20 à 40 % coût du billet : une taxation à hauteur de 0,33 €/l se traduirait par une augmentation de 7 à 15 % du prix du trajet. Certes ce n’est pas négligeable mais cela reste acceptable, me semble t il.
Si la décarbonation de notre économie moderne est bien un sujet, l’hyper-polarisation sur l’avion occulte les efforts qu’il faut déployer dans tous les secteurs : bâtiments, transport terrestre, habillement, etc.Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’il n’y a pas UNE solution miracle pour décarboner le transport aérien ( comme les autres secteurs) et c’est donc par une combinaison de mesures et une coopération des pouvoirs publics, des acteurs économiques et des usagers que ce sera possible.
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L’impact climatique du transport aérien est peut-être deux à trois fois supérieur à sa part dans les émissions mondiales de CO2, du fait des traînées de condensation. L’avion est bien plus difficile à décarboner que, par exemple, le numérique. Le numérique ne consomme que de l’électricité et on sait décarboner l’électricité…
“peut-être”c’est le bon mot. Il n’y a pas de consensus scientifique sur l’impact du forçage radiatif que ce soit en quantité et en temporalité https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-11-17/pourquoi-est-ce-si-complique-de-mesurer-l-impact-des-avions-sur-le-climat-9ee722de-3bd4-478b-a7fc-caede23b2824
Je crois qu’il faudrait massivement transférer sur l’aviation les biocarburants utilisés pour les transports terrestres, car on sait comment électifier ceux-ci – pas l’aviation. La meilleure façon de procéder est sans doute par les mandats d’incorporation de SAF – et peu importe le coût: il n’y a pas à subventionner le trafic aérien, il s’ajustera à la volonté de payer de ses clients.
La décarbonisation de l’économie et, par conséquent, du transport aérien, passe nécessairement par la sobriété, à savoir la forte diminution des consommations d’énergie, et, en définitive, des changements transformationnels de nos modes de vie, de toutes les activités humaines et sociales.
Bonjour,
Très intéressant cet article. Cela veut dire qu’il reste encore des années pour atteindre les objectifs.
Merci pour cet article. Je ne partage pas tout a fait l’optimisme sur les nouvelles techniques permettant de décarboner l’aviation. L’hydrogène en particulier est trés couteux à produire, il faut de l’electricité pour craquer les molecules , il faut du stockage adapté (trés corrosif) . Bref a l’echelle humaine 100 ans l’hydrogène ne peut pas compenser un déficit en kerosène complet. Peut être est il utile de souligner que le kerosène est une composante extraite du petrol brut comme le diesel ou l’essence (autour de 8% mais je ne suis pas spécialiste). Soulignant par là que son utilisation est liée aussi aux autres utilisations du diesel et de l’essence et des autres sous produits. C’est la réduction globale d’usage du petrole qui est nécessaire sinon il faudra bruler le kerosène dans les lampes à huile…. Le biocarburant est une voie mais qui entrera en compétition avec les autre secteurs de transport routiers. Actuellement ces biocarburant pèsent 15% des productions agricoles mondiales c’est déjà une limite entrainant la perte de la forêt tropicale pour trouver de la place. Les déchets seuls ne peuvent pas produire le biocarburant (https://www.ecologie.gouv.fr/biocarburants). Les villes ont besoin de camions pour vivre donc la source énergétique pour le camion va entrer en concurrence pour les biocarburants. Le moteur électrique pour l’avion reste trés anecdotique, la masse des systèmes de stockage dispendieux en composés rares est redhibitoire. Dans tous les cas la décroissance de la disponibilité du petrol à la fin du siècle accélerera le problème de décarbonation surtout avec l’effondrement de la disponibilité du charbon (>15% electricité mondiale) aprés 2050 ( voir energy oulook 2023) . La voie du train pour les moyens courriers est intéressante et peu développée. On a restreint le train à la place de l’avion pour 2h30 en France c’est manifestement insuffisant. La Chine par exemple s’est dotée d’un système de trains rapides traverssant tout le pays. Il y a une réelle alternative dans beaucoup de cas au vol moyen courrier. Le réseau européen de trains rapides ou de nuit est un moyen d’épargner le CO2 et de réduire les moyens courriers. Sa promotion n’est pas en route. L’article mérite d’être plus incisif sur l’urgence du problème même si l’aviation n’a pas un fort pourcentage de production de CO2 son usage récréatif dans 70% des cas pose un problème de fond. L’avion devrait être un outil pour le développement de l’humanité et devrait être repositionné dans ce sens.
L’avantage du transport aérien est sa rapidité. Mais celle-ci est énergivore et quelle que que soit l’énergie utilisée il y apollution. Clairement le transport aérien n’est donc pas climato compatible sauf si on abandonne sa rapidité et qu’on accepte le transport lent (dirigeables, ??).
Cela ne signifie pas qu’il faille totalement abandonner ce moyen de transport. Mais il faut avoir le courage de le restreindre fortement, d’interdire les jets et vols d’affaires privés ou publics, de réserver ce moyen aux urgences santé par exemple.
La transition écologique se base en premier lieu sur la sobriété; notre société doit donc accepter de ralentir pour cela.