Nouvelles routes de la soie numériques : où va la Chine ?

Depuis le lancement en 2013 des nouvelles routes de la soie, aussi appelées “Belt and Road Initiative” (BRI), la Chine a déployé un programme d’investissement massif dans les infrastructures terrestres, maritimes et aériennes reliant l’Asie à l’Europe (et aux autres continents). Dans le même temps la Chine a aussi développé des axes de communications numériques, beaucoup moins visibles, pour renforcer son influence et faciliter son expansion mondiale.

Chine numérique : une ambition planétaire

Les industries technologiques chinoises ne cessent de croître depuis deux décennies avec une spectaculaire accélération depuis l’annonce de la « Belt and road initiative) BRI en 2013 et le lancement officiel de la route de la soie numérique en 2017. Ainsi, d’après le rapport sur le développement de la Chine numérique publié en avril 2023, l’économie numérique chinoise est numéro deux mondial avec 50 mille milliards de yuans en 2022 soit 41,5 % du PIB de la Chine.

La route de la soie numérique est une composante stratégique du projet BRI. Outre le développement d’infrastructures de communication internet indépendantes du réseau mondial, elle s’appuie sur la pose de milliers de kilomètres de câbles sous marins et sur l’exportation tous azimuts de sa technologie 5G et de ses systèmes de télécommunications satellitaires. Parallèlement, la Chine est très active dans les instances de coopération internationales sur l’intelligence artificielle afin de peser sur sa réglementation et, plus prosaïquement pour vendre son savoir faire dans des applications industrielles, militaires, environnementales ou sécuritaires.

En vingt ans la Chine est devenue un acteur majeur de l’innovation dans les technologies numériques et elle a maintenant l’ambition de prendre le leadership mondial avec le développement des nouvelles routes de la soie numériques.

Routes de la soie sous-marines

Les câbles sous-marins sont les autoroutes de l’Internet mondial : les 450 câbles posés au fond des océans du globe assurent 99% du trafic planétaire. La Chine a bien compris l’importance géostratégique de ces voies de communication pour développer et sécuriser ses échanges avec le reste du monde. Alors qu’elle ne représentait que 7% des investissements en 2016 dans les projets de câbles maritimes à proximité de son territoire essentiellement, sa part dans le financement de nouveaux projets a dépassé 20 % en 2019 (avec une extension géographique permettant de relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique orientale notamment)

Le câble PEACE (Pakistan & East Africa Connecting Europe) d’une longueur totale de 15 000 km et contrôlé par des opérateurs chinois, contourne le sous-continent indien pour connecter le Pakistan et le relier l’Europe via Marseille. Par une division au large de la péninsule arabique, il atteint aussi le Kenya, avec le dessein d’une prolongation vers l’Afrique Australe.

la Chine a également passé des accords de coopération d’autres pays comme l’Indonésie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Chili, le Brésil… grâce auxquelles des entreprises comme Huawei participent au déploiement de câbles transpacifiques et transatlantique.

Les velléités chinoises de contrôle des câbles sous-marins enveniment les relations diplomatiques entre la Chine et les États-Unis car le contrôle des câbles revient à maîtriser la transmission des informations à l’échelle internationale. Plus généralement les câbles sous marins sont devenus un véritable enjeu géopolitique pour les tous les états ce qui renforce les espace maritimes en tant qu’interfaces stratégiques.

Routes de la soie 5G

Forte de son réseau 5G qui est le plus grand du monde avec 2,3 millions de stations de base et antennes maillées sur son territoire qui bénéficie à 560 millions d’abonnés, la Chine ne cesse de promouvoir sa technologie hors de ses frontières avec, notamment, la société Huawei qui est leader mondial dans ce secteur : malgré de nombreuses controverses elle a de grosses parts de marché en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique.

Parmi les pays qui coopèrent avec la Chine dans ce domaine on peut citer le Qatar (développement du réseau local), l’Arabie Saoudite (fournitures d’infrastructures), les Émirats Arabes Unis (réseaux de service), l’Égypte (centre de recherche et de formation), l’Afrique du Sud (réseau commercial 5G indépendant) et le Brésil (cybersécurité).

Outre les progrès qu’elle apporte en terme de transmission des données, la 5G ouvre un gigantesque champ d’application pour l’internet des objets qui concerne autant les objets connectés domestiques que l’industrie 4.0, les smart-cities (villes hyperconnectées) que la Chine a bâti en grand nombre sur son territoire et qu’elle promeut résolument hors de ses frontières avec ses technologies et des conditions de financement (prêts) qui génèrent une dépendance sur le long terme.

Pour de nombreux pays (États-Unis, Union Européenne,..) la coopération avec des opérateurs télécoms chinois pose problème à cause leur proximité avec le gouvernement chinois et les craintes que les équipements qu’il fournissent pourrait servir à capter des données commerciale et à espionner des organisations publiques ou des infrastructures stratégiques.

Routes de la soie spatiales

La politique spatiale chinoise a connu une forte accélération à partir des années 2010, justifiée par la nécessité d’apporter un appui supplémentaire au développement économique attendu dans la cadre de la BRI grâce au déploiement d’une couverture globale chinoise (540 satellites en 2022).

Cela permet à la Chine de maîtriser les services de navigation et de communication le long des nouvelles routes de la soie. Ainsi le système de navigation Beidou (BDS) est également utilisé pour des activités agricoles, pour des services de télécommunication, pour de l’observation et pour des secours le long des routes de la soie qu’elles soient terrestres ou maritimes. La Chine a exporté ses prestations « BDS » vers plus de 100 pays parmi lesquels on trouve la Thaïlande, le Laos, le Pakistan.

La Chine propose aussi à ses partenaires de faire appel à ses services pour lancer leur satellites grâce à un « package » incluant la fourniture du satellite, son lancement avec la fusée chinoise Longue Marche et le prêt qui finance l’opération. Plusieurs pays ont saisi cette opportunité où le piège de ma dette est la douloureuse contrepartie du transfert de technologie : Éthiopie,Venezuela, Algérie, Nigéria, Thaïlande, Cambodge, Indonésie, Brésil…

Face au développement exponentiel des activités spatiales de la Chine et dans le contexte de confrontation Chine/États-Unis, l’Union européenne a choisi la collaboration scientifique et ses pays membres (dont la France) renforcent leur coopération tant pour le développement de nouveaux satellites ou de fourniture de services de télécommunication que sur des questions relative à la lutte contre le dérèglement climatique.

Intelligence artificielle et contrôle

La Chine est actuellement le deuxième plus grand marché dans le secteur de l’Intelligence Artificielle (IA) : il s’est élevé à 34 milliards de dollars en 2022. Dans ce domaine c’est l’État chinois qui est à la manœuvre pour le développer dans des applications qui vont de la finance à la santé en passant par les transports et la surveillance.

C’est justement dans la reconnaissance faciale que la Chine a investi massivement. Aujourd’hui, que ce soit dans la rue, dans les transports, dans les commerces ou dans les bâtiments publics, les chinois sont filmés avec un réseau de caméra de surveillance très dense (1 caméra pour 2 habitants). Si cela permet aux individus de payer des achats en présentant son visage et aux autorités d’identifier un délinquant dans la foule, c’est aussi une redoutable structure de contrôle au service du calcul du crédit social des citoyens, voire de la surveillance de minorités ethniques ou de dissidents.

Dans ce secteur la Chine est très activepour promouvoir sa technologie chez ses partenaires des nouvelles route de la soie. Pour exemple :

  • Le Zimbabwe coopère avec l’entreprise chinoise CloudWalk Technology à laquelle il fournit les données biométriques de ses citoyens en échange de technologies IA et d’expérience en matière de gouvernance numérique.
  • L’Iran a des accords de coopération en matière de cybersécurité avec transferts de technologies de surveillance dont le déploiement s’est accéléré depuis la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 et le soulèvement populaire qui l’ont suivi.

On voit là que la politique d’exportation frénétique de la technologie chinoise tente de répandre un modèle de société structuré par un autoritarisme numérique

Finalement,

les nouvelles routes de la soie numériques sont bien plus qu’un réseau d’infrastructures et un tissu de coopérations porteurs de croissance mondiale. Elles sont au service d’un développement à marche forcée centré sur la Chine dans une déclinaison géostratégique de son régime totalitaire.

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2 thoughts on “Nouvelles routes de la soie numériques : où va la Chine ?”

  1. Article très complet, tous les champs sont explorés et détaillés objectivement.
    Intéressant au possible.

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