Quel avenir pour le pétrole ?

Le 27 août 1859 le pétrole jaillit en grande quantité depuis le puits foré par Edwin Drake à Titusville en Pennsylvanie. Cet événement marque le début d’une nouvelle ère industrielle grâce à l’accès à une ressource naturelle aux multiples propriétés qui va permettre l’émergence de technologies et de produits nouveaux en contribuant aussi à une dégradation de l’environnement jamais observée auparavant.

Alors que le marché mondial de l’or noir connaît des variations rythmées par les conflits, les guerres commerciales, ou la spéculation, la poursuite de l’utilisation massive de cette matière première (et d’autres) fait débat autant sur l’impact économique de la raréfaction de la ressource que sur les effets de son utilisation déraisonnable (accumulation de gaz à effet de serre, pollution par les déchets en matières plastique…).

La dépendance au pétrole et à ses dérivés est d’autant plus prégnante que leur remplacement, timide, fait face à des problèmes techniques ou aux effets délétères des solutions de substitution sur l’environnement. Les résistances sociologiques limitent aussi les perspectives d’une réduction significative de leurs usages dans les pays développés comme dans les grandes puissances émergentes faute d’une gouvernance mondiale consensuelle.

« Préhistoire » et histoire du pétrole et de ses usages

Les premiers usages du pétrole datent de l’Antiquité dans des régions du globe où «l’huile de roche» affleure naturellement à sa surface ou dans des puits forés pour extraire de l’eau potable ou de la saumure. En Mésopotamie, en Egypte, en Grèce, en Chine, en Roumanie… on extrait du pétrole qui est utilisé pour l’éclairage, le calfatage des bateaux ou pour d’hypothétiques propriétés médicinales. D’autres extractions et usages ponctuels sont rapportés en Iran, en Italie, en Pologne et en Amérique du Nord.

L’intérêt pour le pétrole et sa recherche méthodique émerge à partir de 1850 alors que l’huile de baleine, qui sert à l’éclairage, vient à manquer. Les premières industries pétrolières voient le jour en Roumanie puis en Allemagne. C’est par la technique de forage qu’il a inventé que Drake donnera le coup d’envoi de l’exploitation aux États-Unis, en Pennsylvanie puis dans d’autres états, et d’autres pays : outre la Pennsylvanie la ruée vers l’or noir touche aussi l’Alberta, la Californie, et de l’autre coté de l’Atlantique, la Transylvanie, la Pologne et Azerbaïdjan.

Le marché est principalement représenté par l’éclairage (pétrole lampant) et par quelques usages traditionnels comme l’étanchéité (goudrons) et les lubrifiants dont la demande croit avec l’avènement de la mécanisation de l’industrie. Face à cette demande de faible élasticité, les hausses de productions par la mise en service de nouveaux gisements provoquent les premières fluctuations de prix de grande amplitude.

L’extraction, le transport et le raffinage du pétrole a vu émerger des acteurs puissants comme la Standard Oil de John Rockfeller aux Etats Unis, les britanniques BP en Iran et Shell sur le marché asiatique ainsi que la Royal Dutch néerlandaise à Sumatra. Dans le dernier quart du XIXème siècle le pétrole est aussi activement exploité dans l’empire russe, à Bakou, où les frères Nobel investissent, suivis par les Rothschild.

L’invention de l’éclairage électrique donne un coup de frein au développement de la production et de la transformation mais le déclin sera de courte durée car de nouveaux marchés apparaissent. Les navires à vapeur remplacent le charbon par du fuel, moins volumineux et plus pratique. A l’aube du XXème siècle l’automobile et sa production de masse, prélude du consumérisme moderne, entraînera la progression fulgurante de la production mondiale de pétrole brut qui passe de 200 tonnes à plus de 5.100 millions de tonnes entre 1858 et 2022.

Si les transports représentent la majeure partie des débouchés des produits pétroliers (60 % en 2021) on ne saurait oublier :

  • la multitude de produits qu’il permet de fabriquer, produits qui sont devenus omniprésents dans notre vie quotidienne (matières plastiques, textiles, caoutchouc synthétique, colorants);
  • les engrais de synthèse, et les produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture;
  • les produits intermédiaires pour les industries chimiques et pharmaceutiques.

Pétrole enjeu politique et économique mondial

Dès le début du XXème siècle le pétrole devient une matière première stratégique. Le contrôle de gisement et des voies d’acheminement donnent le « LA » de la géopolitique du pétrole sous tutelle européenne puis américaine jusqu’à la fin des années 60.

En 1970, la production de pétrole des États-Unis atteint un « pic de production», prédit par le géophysicien Marion King Hubbert. Importateurs nets de pétrole depuis 1949, les Etats-Unis voient leur production diminuer pour la première fois, et doivent importer des quantités inhabituelles de pétrole. La même année les États unis décident de mettre fin à la convertibilité du dollar en or ce qui affaiblit le dollar et dégrade les revenus des autres pays producteurs dont les échanges sont libellés dans cette monnaie. La guerre du Kippour leur fournira l’occasion de réduire leurs productions et d’augmenter leurs prix brutalement. Le monde «encaisse» le premier choc pétrolier en 1973. La révolution iranienne et la guerre Irak-Iran conduira au deuxième choc de 1979.

La crainte de manquer de pétrole incite les pays occidentaux à réduire la consommation d’un produit importé dont le coût impacte leur balance commerciale. C’est le début des économies d’énergie et, en France, du programme électro-nucléaire lui donnant une indépendance énergétique relative sur fond de contestation récurrente.

Le pétrole cher ne le restera pas longtemps car, voyant que l’URSS devient le premier producteur mondial, les États-Unis prennent conscience que c’est leur principal ennemi qui profite de la flambée des cours. En 1983 ils arrivent à convaincre l’Arabie Saoudite et le Koweït de relever le niveau de leurs productions ce qui entraînera l’augmentation des productions des autres pays qui craignent de perdre leur part de marché. La surproduction mondiale qui en résulte déclenchera le contre-choc pétrolier de 1986.

Au cours des trente dernières années l’histoire pétrolière, mouvementée, s’est traduit par une augmentation de la production et de la consommation mondiales. Les prix du baril ont suivi un mouvement yo-yo, rythmés par l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, la crise asiatique de 1997, la crise du Proche Orient et les troubles sociaux du Venezuela en 2004, la crise mondiale de 2008, le conflit Libyen en 2011 et le ralentissement de l’économie dans les pays émergents en 2015, les attaques d’installations de sites de production saoudien en 2019, la pandémie Covid en 2020, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Pendant ce temps la production continue de croître avec un poids relatifs des acteurs du « camp » des producteurs qui évolue (États-Unis, Russie, Arabie Saoudite, Canada, Irak, E.A.U, Iran, Brésil représentent 60% de la production mondiale) alors que les consommations croissantes de la Chine et de l’Inde masquent les réductions de consommation d’autres « gros » consommateurs et impactent les variation de prix.

L’action des puissances occidentales pour contrôler les ressources en or noir, autant que les effets des conflits ou des crises (conjugués à ceux de la spéculation) sur le prix de cette ressource naturelle montrent qu’elle est un enjeu planétaire majeur.

Pic ou pas, pour quand ? 

La théorie du pic développée par Marion King Hubert en 1956 part du principe que lorsque la consommation d’une ressource non renouvelable dépasse les quantité découvertes cela se traduit par un pic de production. Cette théorie s’est momentanément avérée exacte en 1970 pour être ensuite infirmée après la découverte de nouveaux gisements exploitables dans le Golfe de Mexique, en Alaska, etc.

Quoi qu’il en soit, prédire la date d’un épuisement des ressources est un exercice difficile, à renouveler régulièrement. Les réserves de pétrole « accessible » dépendent des techniques mises en œuvres pour les exploiter et, finalement, du prix du pétrole qui conditionne leur rentabilité. Avec un prix de pétrole au dessus de 50-60 $ (selon les gisements) l’exploitation du pétrole « non conventionnels » (pétrole de schiste, … ) est possible. C’est ce qui a permis au États-Unis de retrouver la place de premier producteur mondial en 2014, et d”extraire 845 millions de tonnes en 2021. Le coût élevé de l’or noir incite aussi à la recherche de ressources énergétiques de substitution qu’elles soient « propres » ou non. En 2021 le pétrole représente près de 31% de l’énergie primaire consommée dans le monde (46,2 % en 1973).

Face à la théorie discutée du pic de production apparaît l’idée que la demande de cette ressource va cesser de croître (Peak Oil demand), à une date qu’il est tout aussi difficile de prédire. Toutefois la pénétration, encore très modeste, du marché automobile par des véhicules électriques (qui pose d’autres problèmes de ressources : métaux, terres rares, lithium, cobalt…), et les initiatives pour lutter contre le réchauffement climatique comme le plan IRA aux États-Unis ou la feuille de route “fit for 55”  de l’union Européenne devraient progressivement réduire la consommation d’or noir.

Le défi n’est plus technologique mais politique car c’est le comportement de l’homme qui doit changer avec de profondes modifications de sa consommation tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif. En 2005, Sheikh Zaki Yamani, alors ministre saoudien du pétrole déclarait : “L’Âge de Pierre ne s’est par terminé faute de pierres, et l’Âge du pétrole se terminera bien avant que le monde ne manque de pétrole”. La question est quand!

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12 thoughts on “Quel avenir pour le pétrole ?”

  1. Merci pour cette synthèse historique et de situation.
    Commentaires :
    > Quant on en vient aux moteurs de notre comportement collectif, je me défie désormais d’expressions comme “le comportement de l’homme”, au succès apparemment immense mais injuste et contre-productive. J’y vois une pression collectivement acceptée pour disculper l’infime minorité, dans l’humanité entière, qui impose en toute connaissance de cause les décisions contre l’environnement.
    Si la responsabilité est équi-répartie, elle n’existe plus. Et donc toute action collective est empêchée, par la seule propagation de cette excuse.
    > Sans doute faudrait-il en dire plus sur cette fonction majeure du pétrole : la guerre. Tant que des nations rèveront à l’usage de la force, le pic de demande n’arrivera pas, parce que cette exigence là restera vitale dans les esprits quelle que soit la réduction éventuelle des besoins courants. C’est bien de cette manière que les USA voient la chose, la Chine en miroir, et le reste du monde par ricochets.
    Amicalement,

  2. Tant que tous les véhicules militaires en seront dépendant, le pétrole aura une valeur et une utilité incontournables. Combien de temps durera-t-il ? Dieu seul le sait ! Bravo pour la dernière citation très sage !

  3. Le pic de production n’est pas une “théorie” mais une vérité mathématique : si une fonction est positive et intégrable, et si son intégrale a une limite supérieure, alors sa valeur moyenne sur tout intervalle de temps strictement positif ne peut que tendre vers zéro à l’infini.
    Or, toute consommation d’une ressource non renouvelable répond à l’hypothèse : la consommation est une fonction positive (on ne peut pas rendre le pétrole à la terre intégrable (on peut calculer une consommation cumulative), et celle-ci a une limite supérieure (le stock initial). Ainsi, la consommation annuelle ne peut que tendre vers zéro avec le temps.

    Tout ce dont on peut débattre, c’est de la date du pic. Il semble bien qu’il soit passé en novembre 2018.

  4. Não acredito que o petróleo sairá de uso em breve. Existem muitos interesses financeiros voltados ao seu uso.
    Faço uma leitura simples, pode até ter um grande viés, mas em 1973 quando o mundo queimava na base primária 46% de petróleo, se consumia muito menos energia. Já em 2021 em que o petróleo representar 31% da energia primária, o mundo é bem diferente e o consumo de base primária é maior. A população é maior e quantidade de energia per capita muito maior ainda, então 31% pode não significar um decréscimo significativo. Devemos imaginar que ao se referir ao petróleo é necessário pensar em seus derivados, para citar um deles, o plástico é hoje uma praga e está em todos os lugares em uma quantidade nunca imaginada. Os costumes de consumo são, sem sombra de dúvidas, dependentes de petróleo. Quando se fala em outras energias para o abastecimento de automóveis, as vezes esquecemos de olhar que o combustível é apenas uma das partes, mas quase todo o restante tem derivados de petróleo, do pneu à pintura.
    Enfim, a cadeia produtiva e a de consumo foram desenhadas baseadas numa alta entropia dentro de um sistema econômico fechado, mecânico, onde “eco” é apenas um sufixo, falta aí a questão da vida…
    Grato pelo artigo Xavier DROUET

    1. En effet la consommation mondiale d’énergie primaire ne cesse de progresser. Elle a atteint 173 300 térawattheures (TWh) , soit plus de deux fois l’énergie consommée en 1979 : 83 700 TWh.

  5. Bel présentation de l’exploitation du pétrole.
    Le réchauffement climatique devrait remettre en cause le comportement humain vis à vis des ressources terrestres.
    L’homme vient de découvrir sous la croute terrestre de l’hydrogène sous forme gazeuse et on présente cette découverte comme “Les promesses de l’hydrogène naturel issu du sous-sol.
    L’homme ne pense toujours qu’a exploité les ressources terrestres à court terme, sans penser aux conséquences à long terme

  6. Il serait utile de dire que les énergies fossiles, dont le pétrole, sont un poison qui réchauffe la planete au point, si nous continuons à en consommer à ce niveau, pic ou pas, de la rendre invivable.
    Est-ce bien ce que l’on veut?

  7. Il est de plus en plus évident que l’avenir du pétrole est incertain et présente des défis majeurs. Les conséquences du changement climatique nous poussent à reconsidérer notre dépendance au pétrole, tandis que la raréfaction des réserves exploitée, la complexité de l’extraction et la géopolitique, rendent ce marché de plus en plus volatile. Maintenant, il me semble que le pic pétrolier soit déjà atteint depuis novembre 2018.
    Cette réalité mathématique souligne d’autant plus l’importance d’accélérer la transition vers des sources d’énergie “plus” renouvelables et surtout d’accélérer notre sobriété, car elle sera soit pilotée… soit contrainte… mais tout compte fait, inéluctable.

    1. Dans son dernier rapport World Energy Outlook, publié en octobre 2022, l’agence internationale de l’énergie estime que le pic pétrolier sera probablement atteint d’ici 2025.

  8. Excellente synthèse Xavier DROUET. toutes mes félicitations. Mon collègue J.F.GIANNESINI, Ingénieur en Chef, éminent spécialiste du Domaine écrivait voici 20 ans : Il y aura toujours du pétrole.
    Pour 100 ans à 100 $/bbl. 200 ans à 200$/bbl etc.
    Mais Jean-François, décédé depuis des suites d’une longue maladie, n’aura pas connu l’explosion de la production pétrolière U.S. par fracturation hydraulique des gisements. Cette nouvelle donnée aurait certainement allongé la durée prédite, vs. Le coût du baril.
    Enfin, les recherches en catalyse de post-traitement et en ultra filtration catalysée des particules pour l’ automobile se sont raréfiées et nul ne peut dire à ce jour que les specs sortie échappement ne pourront pas être à nouveau améliorées.
    Le futur du tout électrique devrait logiquement provoquer le retour des moteurs à combustion interne. BioTFuel (IFPEN, Axens, TOTAL ) produisant le gazole (cétane 70 !) à empreinte carbone réduite recherché.

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